Comment les grands conduisent leurs pigeons ?
Ernest Duray devant ses colombiers. Pour lui l’entraînement et l’alimentation étaient deux principes de base inséparables.
Débutant:
Tu vas donc me raconter comment les « grands » de la colombophilie mondiale conduisent leurs pigeons. On a toujours dit que beaucoup de chemins conduisent à Rome, en indiquant par là que différents systèmes peuvent donner le même résultat en colombophilie.
Pourquoi alors vouloir examiner plusieurs systèmes. Un seul ne suffit-il pas? Et si plusieurs routes mènent à Rome, pourquoi ne pas en choisir une seule, et de préférence l’autoroute qui constitue la route la plus directe et la plus facile?
Victor:
Tu me poses là une question bien difficile. Je te répondrai ceci: ta comparaison de systèmes pour conduire les pigeons avec des routes ne tient pas debout. « Omnis Comparatio claudicat » disaient les Romains, et ils avaient bien raison de dire par là que comparaison n’est pas raison. En colombophilie il s’agit de détacher de chaque système les principes de base valables pour chaque colombophile. C’est à ce dernier qu’il importe de juger quel accomodement lui convient le mieux, sans s’écarter pourtant des principes inamovibles valables pour chacun.
Et voyons, chez les Super-champions, le Dr. Bricoux et Ernest Duray, quels sont ces principes qui sont également valables pour nous tous. En premier lieu il y a les soins pendant la période de repos, c.-à-d., celle qui commence après la mue jusqu’à la période d’Elevage pour les producteurs et plus tard encore pour les futurs voyageurs.
Ces champions étaient d’avis qu’il fallait nourrir très légèrement pendant la période de repos de sorte à prolonger celle-ci. La ration d’hiver était presqu’exclusivement composée d’orge, mais ces champions compensaient le manque de matières grasses par des graines oléagineuses, principalement des graines de lin.
Débutant:
Je crois que si on voulait vendre un mélange de repos composé de 90% d’orge personne n’en voudrait actuellement. Qu’en penses-tu ?
Victor:
Et pourtant ce serait un très bon mélange. En tout cas j’estime que les colombophiles nourrissent en général trop fort en hiver. Les pigeons ne « sentent » pour ainsi dire pas l’hiver avec la conséquence fatale qu’ils ne doivent plus « se défendre » … ce qui conduit à la longue à une diminution de leur vitalité. Or ceci est préjudiciable pour leur mise en forme quand sera arrivée la période des concours. Nous savons tous que la fonction crée l’organe, ou plutôt fortifie l’organe. Or si un organe ne doit plus travailler pour se défendre il s’affaiblit. Il perd sa vitalité et devient incapable de fournir un effort sérieux avec cette économie de fonctionnement qu’aurait pu lui apporter l’entraînement à l’effort. On trouve dans ce principe presque tout le mystère et la beauté de la « vie ». De ce point de vue le système des Bricoux et Duray rejoint celui de Jef Van Riel qui disait que les pigeons devaient « souffrir » en hiver. Les formidables succès en été des Bricoux, Duray, Huyskens-Van Riel nous fournissent la preuve qu’ils avaient raison. A nous d’en tirer les conclusions.
Débutant:
Le fait que très peu de colombophiles sont capables d’obtenir en été la grande forme chez leurs pigeons pourrait donc être la conséquence d’une erreur dans la conduite de leurs pigeons pendant la période de repos?
Victor:
Je le crois. Et d’ailleurs tu dois te rappeler ce qu’Eddy Merckx déclarait lors d’une émission de la télévision: parlant des records qui dans toutes les branches sportives tombent à tout bout de champ, il déclarait qu’il y avait à cela deux raisons principales: l’assistance d’un médecin spécialiste en ce qui concerne l’alimentation, et le dosage de l’alimentation par rapport aux efforts d’entraînement et de compétitions. Pour arriver au sommet il faut pousser l’entraînement progressivement de plus en plus fort… Ici c’est aussi une question de volonté.
Débutant:
Il est donc nécessaire de ne pas com-mettre des fautes dans l’alimentation si on veut avoir ses pigeons en forme…
Victor:
Alimentation et entraînement sont les deux facteurs essentiels du succès, et ils se tiennent.
Débutant:
Et la santé, et le colombier, qu’en fais-tu?
Victor:
C’est une autre question, mais même avec des pigeons en santé dans un bon colombier on ne réussit pas à briller si alimentation et entraînement ne sont pas là pour arriver au sommet, comme le disait Eddy Merckx.
Débutant:
Et voyons maintenant comment étaient nourris les pigeons Bricoux et Duray pendant la saison des concours.
Victor:
Je commence par dire qu’ils nourrissaient très fort.
Débutant:
J’ai toujours entendu dire qu’on ne pouvait pas nourrir « fort », c.-à-d. servir un mélange trop riche, parce que cela encrassait l’organisme, et coupait la forme… Et voilà que tu me dis que ces super-cracks faisaient le contraire! Je ne m’y retrouve plus…
Victor:
Il y a en colombophilie tant de choses qui paraissent contradictoires. En réalité elles ne le sont pas toujours. Je t’ai dit qu’alimentation et entraînement se tenaient de très près.
Les pigeons des Duray et Bricoux faisaient la volée obligatoire d’une heure matin et soir.
Ernest Duray — qui était député à la chambre et avait été un grand sportif comme coureur cycliste professionnel — me disait qu’on n’avait, au veuvage, jamais de problème avec l’appétit des veufs. S’ils boudent la nourriture, il y a un remède bien simple: augmenter la durée de la volée. Car pour-quoi un pigeon ne mange-t-il plus? Parce qu’il a assez de réserves. Si on l’oblige à dépenser ses réserves par l’entraînement il recommencera à manger plus.
Or, s’il s’entraîne plus, il deviendra de plus en plus infatiguable. Pensons à Merckx. On rejoint ici l’idée de Pol Bostijn, qui fut entraîneur de chevaux de course, et ensuite un vainqueur de nationaux, « que le pigeon doit être entraîné à la cravache ».
Débutant:
Tout cela est certainement valable pour les concours d’endurance, mais pour les concours de vitesse jusque 350 km, ce n’est sans doute pas la méthode idéale.
Victor:
II y a certaines différences, cela est évident et nous en reparlerons lorsque nous irons éclairer notre lanterne chez les champions de vitesse.
Mais voyons un peu comment le Dr. Bricoux et Ernest Duray nourrissaient leurs pigeons. A la rentrée de la volée très matinale les pigeons trouvaient dans leur casier une dizaine de petites graines, question de les faire rentrer au premier signal. Après une heure de volée « au drapeau » il n’y avait d’ailleurs aucun problème pour les faire rentrer. On laissait les pigeons sans manger pendant deux heures… et puis on commençait à nourrir; d’abord des féveroles, ensuite des pois, puis des vesces, après du froment et du dari, et pour finir une cuillère à café de « dessert »: un peu de maïs et de petites graines, principalement de la navette.
Après chaque sorte de graines on ramassait ce qui restait — et on attendait un peu pour leur servir le « plat » suivant. Quand le repas était terminé, on faisait l’obscurité au colombier jusqu’à la volée du soir. Et après cette seconde volée on nourrissait comme on l’avait fait dans la matinée. A la rentrée des concours on servait un peu de froment et d’orge, ainsi que le lendemain. Dans la boisson 3 – 4 jours par semaine quelques morceaux de sucre.
Débutant:
Quel travail de nourrir ainsi ! Cela devait demander du temps.
Victor:
Cela prenait une heure chaque fois, mais songe qu’à cette époque il n’y avait pas de mélanges, et que le colombophile allait acheter toutes ses graines séparément. Depuis tout a évolué, et les mélanges actuels contiennent tout ce que donnaient les Bricoux et Duray. Beaucoup de colombophiles actuellement nourrissent encore par petites cuillérées à café successives de mélange, et attendent un peu entre chaque cuillérée. C’est un bon système, mais encore une fois: l’entraînement conditionne l’appétit. Il faut toujours nourrir en songeant à l’énergie qu’on demande aux pigeons. Nous y reviendrons la prochaine fois quand nous parlerons des concours de vitesse.
[ Source: Article édité par M. Noël De Scheemaecker – Revue PIGEON RIT ]
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