Comment nourrir les pigeons de demi-fond?
Débutant:
Je me souviens de t’avoir entendu dire que tu estimais que ce qu’il y avait de plus difficile dans la conduite des pigeons était la façon de nourrir les pigeons de demi-fond. Explique-moi un peu ce qui t’incite à penser ainsi.
Victor:
li y a tout d’abord ceci: quand on parle de « demi-fond » on vise généralement des distances de 300 à 600 km. Or il faudrait distinguer, parmi cette gamme de concours, ceux qui permettent au colombophile d’engager un pigeon chaque semaine, et ceux qui ne peuvent être joués que toutes les deux semaines pour ne pas « surmener le pigeon. J’estime qu’un pigeon peut être engagé chaque semaine sur des distances de 300 à 400 km. Cela dépend encore des conditions de vol et là le colombophile devra tenir compte de l’indice de difficulté et de l’état de fraîcheur du pigeon à l’arrivée. Tandis qu’à des distances au delà du 400km, l’expérience nous enseigne qu’il faut une semaine de repos entre deux concours si l’on ne veut pas courir le risque de briser prématurément la carrière sportive d’un pigeon.
Débutant:
Je suppose que tu parles de pigeons adultes, qui ont atteint l’âge de deux ans?
Victor:
C’est évident, car c’est surtout à l’âge d’un an qu’on « crève’ un pigeon, bien plus même que comme pigeonneau.
Débutant:
D’accord, mais je suppose également qu’il faut nourrir différemment les pigeons participant aux concours — disons — de « petit demi-fond » et ceux qu’on engage à 15 jours d’intervalle.
Victor:
C’est là que réside la difficulté. Car pour les premiers c’est surtout la vitesse qui prime, tandis que pour les autres il y a l’endurance qui aura son mot à dire.
Débutant:
Mais que fais-tu de ce que prétend ton ami Georges De Paduwa lorsqu’il dit que jusqu’à 500km « tous les pigeons normalement constitués » peuvent « suivre le train » comme on dit en jargon cycliste.
Victor:
Eh bien je crois ceci: en supposant que tous les pigeons arrivent en groupe à un point d’arrivée identique, il y en aura, sur une distance de 500km, qui arriveront « vidés » tandis que d’autres ne le seront pas. Et il est certain qu’un pigeon fatigué s’orientera plus mal qu’un pigeon en possession de tous ses moyens. Or, puisqu’il faut absolument qu’un pigeon se détache du groupe pour prendre la ligne la plus directe vers son colombier, on doit supposer que la plupart des pigeons n’en sont pas capables. Sinon les con-cours seraient terminés très, très vite. Et ce n’est pas le cas, surtout quand les distances deviennent plus grandes,
Débutant:
Je comprends que tu veux arriver maintenant à démontrer que l’art de nourrir du colombophile va jouer ici un rôle prépondérant et conditionner l’endurance…
Victor:
En effet… car endurance suppose « réserves »; ce n’est pas le cas pour des pigeons qui normalement ne doivent pas faire appel à ces réserves puisque les distances à parcourir sont assez courtes.
Débutant:
Ce qui m’intrigue c’est de savoir ce que tu entends par « réserves », car lorsque j’aurai bien compris ceci, je suppose que le plus dur du problème « comment nourrir » sera résolu.
Victor:
C’est bien cela. Et c’est le foie, dont les cellules mettent en réserve le glycogène et les graisses, pour les libérer en cas de besoin, qui est l’organe essentiel dont va dépendre l’endurance du pigeon, et donc son état d’épuisement à l’arrivée d’un concours.
Débutant:
Mais comment savoir si le pigeon a accumulé des réserves, oui ou non?
Victor:
Ce n’est pas facile. Il y a pourtant un indice: dès que le pigeon « fait » de la graisse, il nous indique qu’il est saturé. C’est un danger qu’on ne peut pas courir, car pour tout sportif la graisse est l’ennemi n° 1. Ici je crois qu’il y a une exception, p.ex.: engagé pour un concours de Barcelone il est évident que pendant les cinq jours de panier, le pigeon peut se défaire de cette graisse superflue. Mais ce n’est pas le cas pour les concours qui nous intéressent maintenant. Et en examinant bien un pigeon on s’aperçoit que le rythme de la respiration devient plus rapide du moment qu’il s’engraisse, pour le bon motif que sa dépense d’énergie n’est plus équilibrée avec la nourriture qu’il absorbe. Au veuvage le cas est moins fréquent, mais au naturel cela arrive très souvent. Cela arrive aussi dans les colombiers froids et humides quand le pigeon accumule de la graisse pour se protéger. C’est un des motifs pour lequel le colombier est déterminant pour que le pigeon puisse atteindre une forme excellente. Si le colombier est sec et assez chaud avec une aération suffisante le pigeon aimera voler.
S’il boude à la volée tu peux être sûr que son sang est vicié par des toxines… et le pigeon par instinct va bien se garder d’augmenter celles-ci en faisant des efforts. C’est évident. Et les causes peuvent être multiples: manque d’air pur au colombier, une nourriture dont la transformation en forces charge le sang de toxines, c’est surtout le cas pour une alimentation trop riche en protéines (pois, féveroles, vesces), une infection microbienne quelconque ou un parasitisme des muqueuses ou des intestins, une fermentation même légère dans les intestins, et enfin l’insuffisance de récupération totale après un effort musculaire important.
Tu vois donc qu’il y a un tas de raisons — et j’en ai sans doute oubliées — de pollution de l’organisme, au colombophile d’établir le diagnostic et de prendre les mesures nécessaires.
Débutant:
Cher maître, je sais que le sujet est inépuisable, mais pourrais-tu me raconter maintenant comment nourrit ce grand champion aux concours de demi-fond, et dont tu m’as promis de révéler le système.
Victor:
J’y arrive, mais j’ai été déçu lorsque j’ai demandé à ce champion de longue date aux concours de l’Union d’Anvers si je pouvais le citer. Il m’a répondu: « Je préfère que tu ne divulgues pas mon système de soigner mes pigeons. D’ailleurs j’ai presque tout appris dans la revue verte, mais quand-même si tu cites mon nom tout le monde fera comme mol.,. je préfère que ce ne soit pas le cas! »
Débutant:
Ce n’est pas très sportif, il me semble… mais cela ne change rien à ce que tu vas me raconter.
Victor:
Eh bien, voici. Ce qui caractérise les résultats de ce champion, c’est le grand nombre de prix de tête. C’est là une preuve de l’excellence de son système… et de la qualité de ses pigeons. Il m’a dit ce qui suit; et je sais qu’il dit la vérité: Le dimanche à son retour le veuf trouve une dizaine de petites graines au casier (du millet en majorité). Lorsque les constatations sont terminées, c.–à-d. une demi-heure après l’arrivée, je sers une cuillère à café de mélange dépuratif arrosé légèrement de jus de citron et saupoudré de levure de bière. En même temps j’enlève la femelle et retourne le plateau. Le soir je lui sers une cuillerée à soupe à peine remplie de ce même mélange. Dans la boisson, à l’arrivée, une cuillerée à café de glucose vitaminée sur une litre d’eau. Quand j’enlève la femelle, je remplace la boisson par de l’eau pure. Je tiens les mâles enfermés dans leur casier, et si j’en ai le temps, je leur donne quelques minutes de liberté, en ouvrant la baie, ce qui leur permet de faire quelques tours. Ensuite je leur sers une petite cuillerée à soupe du mélange cité.
Débutant:
C’est tout pour le dimanche?
Victor:
Quant à la nourriture et la boisson, oui. Le reste on pourra en parler une autre fois. Restons-en à l’alimentation. Le lundi matin, volée forcément assez courte car le pigeon n’a rien à dépenser. Il retrouve comme à chaque rentrée, quelques petites graines dans son casier; et dans la mangeoire une bonne portion de petits cubes de carottes que ma femme prépare avec soin. Je vais prendre mon petit déjeuner, et après une demi-heure je reviens au colombier et je sers dans chaque petite mangeoire une cuillerée à café du mélange dépuratif-citron-levure. J’enferme les mâles dans leur casier jusqu’au soir, quand je reviens de mon travail (je travaille de 8 à 4.30h. assez près de chez moi). Vers cinq heures la volée libre – ils ne volent que quelques minutes — à la rentrée quelques petites graines comme toujours, et puis je les enferme au casier. Après une petite heure, le temps d’aller manger, je remonte au colombier et leur sers à chacun une grosse cuillerée à soupe du même mélange que j’ai donné le dimanche et le lundi matin. Dans la boisson: quelques gouttes de « solution lugol »— à peine une cuillerée à café pour les 4litres d’eau que ma grande cruche peut contenir. Et c’est tout pour le lundi.
Le mardi matin, le plus tôt possible, car je pars à mon travail un peu avant 8h., mes veufs ont leur volée. Je mets un drapeau devant la baie pendant une vingtaine de minutes, je nettoye mes colombiers, j’enlève le drapeau, ouvre la baie, et appelle mes veufs avec un coup de sifflet. A leur rentrée ils trouvent une dizaine de petites graines et de l’eau fraîche. Je les laisse faire librement au colombier, où ils trouvent grit, vitamineral et pierre à picorer. Je vais prendre mon petit déjeuner, et, avant de partir pour mon travail, je donne dans chaque petite mangeoire individuelle une cuillerée à soupe de mélange dépuratif, qu’ils ne mangent pas entièrement. J’enlève ce qui reste — je renferme les mâles au casier et je tire le store devant la baie laissant entrer le soleil dès le matin, il fait déjà chaud dans mon colombier vers 8h. Car comme tu le sais, mon colombier est orienté vers l’Est.
Ce mardi soir vers 5h. volée d’une demi-heure avec baie fermée et drapeau. A la rentrée au coup de sifflet ils retrouvent comme toujours une dizaine de petites graines. Puis je vais manger, et après une heure je viens nourrir. D’abord dans chaque mangeoire une cuillerée à café de mélange Sport qu’ils mangent très vite. Ensuite je vais voir mes producteurs — j’en ai que six couples pour le moment — et mes pigeonneaux, auxquels vont un minimum de soins car je me spécialise au jeu de demi-fond avec les vieux.
Ces soins prennent une petite heure, et puis je retourne au colombier des veufs et leur sers une grosse cuillerée à soupe de mélange sport. J’en rajoute à ceux qui vident leur mangeoire, mais c’est rare. Sinon j’enlève ce qui reste, et dans chaque petite mangeoire je donne une demi cuillerée à café de petites graines: 1/3 millet, 1/3 chanvre, 1/3 riz non décortiqué, que je me procure dans une maison de régime.
Le mercredi et le jeudi et le jour de l’en logement — le vendredi — le même programme que le mardi, mais le matin je sers une petite cuillerée à soupe de mélange sport au lieu de mélange dépuratif qu’ils reçoivent encore le mardi matin. Tout cela est très simple. Mais encore ceci: le jour de l’enlogement je ne fais pas faire la volée classique d’une demi-heure aux pigeons que je vais enloger. Le matin je ne sers qu’une cuillerée à café de mélange sport, et une heure avant d’enloger je sers encore du mélange Sport qui a trempé depuis la veille dans de l’eau. Ainsi les pigeons ne souffrent pas de soif dans les paniers.
Quant à la boisson: le mardi de l’eau pure, le mercredi aussi, mais le jeudi soir et le vendredi matin j’ajoute à un litre d’eau une cuillerée à café de glucose vitaminée.
Je crois que tu sais à peu près tout concernant la manière dont je soigne mes veufs qui participent chaque semaine aux concours de 320 à 360km à l’Union d’Anvers. Mes quelques pigeons avec lesquels je participe aux concours de 500 à 650km du Fondclub — tous les 15jours — sont soignés un peu différemment.
Débutant:
J’ai l’impression que ton ami t’a raconté tout cela avec une sincérité totale. Et je suis curieux d’apprendre comment il soigne ceux qui ne participent que tous les 15jours aux con-cours du Fondclub.
Victor:
Il m’a dit encore certaines choses concernant des petits trucs qu’il employait. Mais tout cela je te le raconterai la prochaine fois… Car tu connais mon principe: qui trop embrasse… mal étreint.
[ Source: Article édité par M. Noël De Scheemaecker – Revue PIGEON RIT ]
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Concours de demi-fond – pigeon voyageur