De bons pigeons, mais aussi une bonne tactique!
J’ai appris à l’école qu’il y a plus de vingt siècles les Grecs et les Perses se livrèrent une lutte à la vie à la mort. Les guerres, qui malheureusement ne disparaîtront jamais de la terre, parce que l’homme a hérité du père Adam ce défaut capital: l’égoïsme, les guerres, dis-je, furent, sont et seront toujours un combat d’homme à homme, mais surtout un combat de tactique contre tactique. Beaucoup de lecteurs devinent probablement que j’ai fait allusion au coup de maître « tactique » du général grec Epaminondas, qui à la tête de ses 10.000 hommes, fit subir dans le défilé des Thermopyles, une défaite catastrophique à l’armée perse de dix fois plus nombreuse. C’était la victoire obtenue par un plan de combat bien conçu, en un mot: le triomphe du tacticien par le meilleur plan de bataille. Lisez le compte-rendu d’une compétition sportive, d’une course cycliste, d’un match de boxe, d’une course de chevaux, et bien souvent vous verrez le plus malin l’emporter sur le plus fort. Il n’y a pas de principe qui est plus applicable à notre beau sport que celui-ci: « Le tacticien triomphe du non tacticien. »
D’ailleurs quand nous lisons entre les lignes des lettres qui nous parviennent, nous nous rendons si bien compte que beaucoup d’amateurs, n’ont ou bien aucune tactique, ou bien en ont une mauvaise, ou bien suivent une tactique incertaine… ils ne savent à quel saint se vouer. Parfois ils veulent faire trop bien et dans ce cas ils pêchent par excès ! Je ferai de mon mieux pour renseigner nos lecteurs sur les points que je pense être les points capitaux d’une bonne tactique. Toutefois, avant d’entamer ce sujet, je voudrais vous faire part de la remarque que Frans, notre soigneur, nous répétait presque chaque fois après la visite de colombophiles qui lui demandaient une foule d’explications et cette remarque est la suivante: que les amateurs, malgré tout, persistent à croire que nous avons des secrets, que nous tairions soi-disant à nos lecteurs. Ils ne savent se figurer qu’il est possible d’obtenir des résultats si fantastiques avec si peu de pigeons, ils sont convaincus de ce fait que ce serait grâce à certains secrets, que nous ne dévoilons pas… Eh bien, le jour où nous subirons un désastre à.notre propre colombier et que provisoirement nous n’aurons pas les mêmes succès, alors vous ne songerez plus aux secrets ! Toutefois, il n’en est pas encore question, mais je demande aux amateurs incrédules tout simplement de suivre strictement nos conseils, mais ce qui s’appelle strictement. Si alors ils échouent, il peuvent sans regret envoyer leurs pigeons à la cuisine, où ils seront à leur place et déclarés « aptes à tous points de vue pour la casserole ! » Voyons d’abord la boisson: on met de tout dans l’eau de boisson: du jus de citron, du lait, du sel de Carlsbad, des orties, du sel de cuisine, du miel, du sucre, de la salsepareille, de la teinture d’iode, du vitriol, des élixirs etc. Celui qui n’a pas de tactique, n’ajoute rien à l’eau; celui qui veut faire trop bien, y met de tout ou beaucoup trop ! Que faire ? Quelle est la solution ? Tout d’abord je déclare carrément que nous déconseillons de mettre les produits suivants dans l’eau de boisson: du sel et de la teinture d’iode. Pour ce qui concerne le vitriol, je dirai à l’instant le résultat de notre propre expérience. Exercent une heureuse influence sur l’organisme de nos pigeons: les thés de racines de salsepareille rouge et d’orties. Ils agissent comme dépuratifs et régulateurs de la circulation sanguine pour remettre un pigeon en état de santé après un régime anormal, surtout quand l’organisme du pigeon a souffert par suite d’excès de nourriture. Ce sont des adjuvants par excellence à administrer une semaine durant au printemps et en automne. Il est également à conseiller de servir l’un ou l’autre thé un jour ou deux tous les quinze jours, durant la saison de jeu, de préférence le lundi ou le mardi. Le sucre et le miel encore davantage conviennent fort bien pour augmenter la capacité de résistance des muscles et spécialement le miel pour conserver les organes respiratoires en parfait état de santé. Pendant toute la saison de jeu — du mardi au jeudi inclus — nous ajoutons une cuillerée de café de miel pour un bon litre d’eau. Retenez bien les paroles d’un grand spécialiste médical: « Si les gens consommaient régulièrement du miel, les pharmaciens pourraient fermer leur boutique ! » De même le dimanche, au retour des concours, on mettra une double ration de miel dans l’eau. Le pigeon sera vite remis.
Et du lait ? De nouveau un des ces produits merveilleux de la nature ! Surtout après un effort exagéré, qui, en fin de compte, provoque un certain empoisonnement du sang, le lait sera le remède rêvé ! Quand nous remarquons qu’un pigeon a beaucoup souffert d’une étape, nous ajoutons pendant un jour un tiers de lait à l’eau de boisson. Si les pigeons n’ont pas souffert du concours, il suffira d’ajouter tout simplement le lundi matin une cuillerée à café de sel de Carlsbad pour deux litres d’eau. Cela conviendra donc presque tous les lundis. Dans ces conditions, c’est-à-dire après une étape pas trop dure, nous passons aux voyageurs, à jeun, le lundi, une boulette d’ail (1). Et maintenant le jus de citron ! Oui, chers lecteurs, qu’est-ce qui vous goûte encore le mieux en été, quand il fait chaud à mourir ? Une bonne citronnade. Cela désaltère et désinfecte la gorge. D’ailleurs, l’eau citronnée est fort recommandée en médecine aux personnes sujettes à contracter une angine… et dieu sait le grand nombre de pigeons qui en sont affligés… la plupart par suite d’excès dans l’alimentation ou de surpopulation et d’air vicié. Qu’on jette un quart de citron, la pelure comprise, dans l’abreuvoir par les chaleurs d’été, surtout aux pigeonneaux, du premier au dernier jour de la semaine, et aux vieux le jours de l’enlogement ?
Du vitriol ! Du vitriol ! Si j’attrape vite des cheveux gris, le vitriol y sera pour beaucoup ! Qu’avait-on besoin de créer cette dangereuse composition ? Mon ami Jos Janssens m’a affirmé que la dynamite en contenait ! Je puis bien le croire, aussi faut-il être fort prudent dans son emploi. Le vitriol est pour l’amateur ce que la dynamite est pour l’armée: un outil dangereux, qui peut parfois devenir l’instrument qui tue celui qui l’emploie. Voulez-vous mon avis ? J’ai reçu au moins mille lettres à son sujet, j’ai passé des. nuits blanches rien qu’à répondre à ces demandes de renseignements ! Et quelle fut chaque fois ma réponse ? « Cher Monsieur, soyez prudent avec le vitriol. L’année passée nous avons fait l’expérience sur quelques pigeonneaux, avec le résultat que la chair de ces jeunes durcissait fort et que leur gorge était fort propre. Toutefois, il me semble que la mue n’a pas été aussi belle, surtout dans l’arrière-aile. Ces pigeons firent deux étapes par beau temps de pigeons et ils se classèrent bien. Cette année nous réexpérimenterons sur ces mêmes pigeons, devenus yearlings, et nous vous ferons connaître le résultat. En attendant, je vous conseille de ne pas employer du vitriol. Nos meilleurs voyageurs n’en reçoivent pas une goutte, parce qu’il est établi que le vitriol provoque chez les pigeons une usure prématurée. Nous pourrons le constater nous-mêmes par nos propres essais. » Un autre point qui apparaît aux yeux des amateurs comme une difficulté, c’est l’alimentation des pigeons. Je ferai ici une comparaison: le paysan qui se lève tôt, travaille parfois quinze heures par jour en plein air, peut, cela va de soi, manger le double d’un employé, qui bien installé sur sa chaise, ne fait que huit heures de travail sédentaire. Le premier peut manger quatre tranches de lard, le second une seule. Le premier peut manger 4 à 5 fois par jour, le second trois fois. Je n’invente pas, chers lecteurs. Ce sont les médecins qui prescrivent cela dans l’intérêt de la santé des gens, pour la régularité de la circulation du sang, pour la régularisation de la tension sanguine. Gardons constamment cet exemple devant les yeux, quand nous nourrissons nos pigeons et n’oublions pas que quand on nourrit abondamment, on doit aussi soumettre les pigeons à un entraînement sévère – c’est-à-dire la volée d’une demi-heure matin et soir avant le repas. Il est évident que des pigeons qui, chaque semaine, doivent faire une étape de 300 à 500 km, devront être bien nourris, tandis que les pigeons de vitesse le seront beaucoup moins. On est parfois étonné du nombre incroyable de kilomètres que nos pigeons abattent sans donner le moindre signe de fatigue: des semaines d’affilée des concours de 350 à 700 km, sans se reposer un seul dimanche, sauf après une étape fort dure. D’où vient qu’ils savent tenir le coup ? Parce qu’ils sont nourris en conséquence ! (2) C’est ainsi que nos veufs reçoivent chacun dans un petit pot, du mardi au vendredi, à partir de fin avril -c’est le système qui nous a donné les meilleurs résultats – dans la matinée un mélange de féveroles, de pois et de vesces. Au bout d’un quart d’heure nous enlevons les grains non consommés, obscurcissons un peu plus le pigeonnier et n’y mettons plus les pieds avant le soir, le plus tard possible. Après la volée du soir, leur ration est de nouveau: d’abord des féveroles, ensuite des vesces, des pois et du maïs. Si l’appétit est suffisant, on peut aussi donner ces trois premières sortes de grains en mélange, sinon on devra les servir séparément, ce qui réclame évidemment plus de temps. Si parfois les pigeons n’aimaient pas les féveroles ou les vesces, donnez dans ce cas uniquement des pois. Le pois est de loin le meilleur grain pour les pigeons. Notre ami Jef Vanderzeyp, le grand champion de Wilrijk, a donné l’année passée presque exclusivement des pois et joua particulièrement bien toute la saison. Nous en ferons l’expérience sur nos yearlings cette année. Avec ce grain il suffit de donner la moitié et la digestion est très facile. Ici le principe suivant trouve son application: On ne vit pas de ce qu’on mange, mais bien de ce qu’on digère !
En ce qui concerne les petites graines, ne les donnez pas avant la mi-mai, car on ne peut pas « forcer » la forme des pigeons au début de la saison, parce que cette forme est artificielle et de courte durée. Nous traiterons ce point dans notre prochain numéro, il en sera encore temps assez. Nous parlerons alors tout particulièrement des bains pour les pigeons et d’autres petits à-côtés, qui vous seront fort utiles pendant la saison de jeu. Je vous dirai quand même un mot de la façon dont il faut amener au veuvage les pigeons au naturel. Beaucoup s’y prennent mal et gâchent ainsi toute la saison. C’est pourtant d’une simplicité enfantine. Un dimanche soir on fait l’obscurité complète au colombier – on peut aussi attendre qu’il fasse obscur -et on enlève toutes les femelles du pigeonnier. Peu importe qu’un couple couve plus longtemps qu’un autre, ou même qu’un ou l’autre a des jeunes, à condition toutefois qu’on n’enlève pas les nids quand il y a des petits jeunes, ce qui pourrait occasionner une inflammation du jabot. On enlève donc toutes les femelles et on retourne les plateaux vides et les pigeons se trouvent au veuvage. Pendant quatre jours les mâles ne voient pas de femelle et restent enfermés dans leur casier, sauf pour les entraînements du matin et du soir. Aux premiers jours du veuvage, on donne aux mâles deux bains tièdes pour les calmer. Ces jours-là on les laisse faire des petites étapes de 5 et 10 km. Il s’agit de mâles qui, au naturel, ont déjà fait au moins 100 km, avant d’être mis au veuvage. Alors, il faut prendre soin de ne pas montrer la femelle à leur retour, ce qui aurait comme conséquence de consumer leur feu au bout de ces quatre jours. La veille de la première mise en loges, on va de nouveau les lâcher à 5 km. Quand ils reviennent, ils retrouvent leur femelle dans le plateau pour cinq minutes. On ne laisse pas piquer la femelle. On va aussitôt refaire le même lâcher à la même place (par beau temps évidemment) et les pigeons reviennent comme des bolides. On leur laisse la femelle dix minutes sans permettre de rapprochement. Alors on les met dans une demi-obscurité. On les laisse en paix et on les soigne comme d’habitude jusqu’une heure avant l’enlogement de la première étape. Alors on leur montre la femelle pendant quelques secondes, on les lâche à deux kilomètres du colombier et à leur retour ils restent près de la femelle, jusqu’au moment où ils sont blottis amoureusement dans le plateau. A ce moment, on enlève les veufs pour les enloger. La semaine suivante, la même chose, mais les veufs ne voient leur femelle uniquement le jour de l’enlogement, au soir et pas la veille. Voilà en résumé, la méthode la plus simple et la meilleure pour la mise au veuvage (3). Beaucoup de mâles ont compris dès le premier dimanche, d’autres sont plus lents, mais ils tiennent peut-être le coup plus longtemps.
Noël De Scheemaecker
Notices:
- (1) Il y a 70 ans Noël De Scheemaecker conseillait à ses lecteurs de recourir à des produits naturels tels le salsepareille rouge, le lamier blanc, le miel, le lait et l’ail. Conseil judicieux car ces produits sont toujours utilisés et appréciés de nos jours. En ingurgitant une petite boule d’ail frais le pigeon absorbe un antibiotique naturel, sans inconvénient pour son état général, ce que nous ne pouvons garantir pour les antibiotiques actuels. On ne savait pas cela à l’époque.
- (2) Comme vous pouvez lire ici on enlogeait déjà les pigeons de semaine en semaine à 350 jusque 500 kilomètres il y a 70 ans. Noël De Scheemaecker précise qu’il fallait alors nourrir en conséquence des efforts réclamés aux pigeons. N’est-ce pas le « secret » des champions qui jouent leurs pigeons toutes les semaines ?
- (3) Il n’est de secret pour personne que l’on met plus aisément les pigeons au veuvage qu’il y a septante ans.
- Les colombophiles qui croient que le « secret » doit sortir d’un flacon ou d’une pilule sont toujours nombreux en 2006. Comme tout un chacun peut verser le contenu d’un flacon dans l’abreuvoir ou passer une pilule dans la gorge du pigeon ceia se comprend. Mais ce n’est pas là que vous trouverez la clé du succès. C’est bien plus difficile de suivre un système ou une méthode tout le long de la saison pour que les pigeons restent en forme, à condition naturellement qu’on dispose de bons coursiers pour atteindre au but.
[ Source: Article édité par M. Noël De Scheemaecker – Revue PIGEON RIT ]
Pour vous abonner au Magazine PIGEON RIT – Cliquez sur le bouton ci-dessous !
Le standard, l’aile et les accouplements – pigeon voyageur
Analyse et compte-rendu – pigeons voyageurs