L’hérédité mal comprise (1) – pigeon voyageur
Il existe de nombreuses opinions fausses touchant au domaine de l’hérédité et profondément ancrées chez les colombophiles et d’une manière générale chez les éleveurs des pigeons. Je voudrais parler de quelques-unes.
Pour la clarté de mon exposé, je vais replacer la question dans son cadre historique et faire un tour d’horizon quant aux principaux points de la biologie moderne.
Jusqu’au début du 19ème siècle. il était généralement admis que les plantes et les animaux avaient une structure et une forme fixée (fixisme). Ensuite, quelques penseurs émirent l’idée du transformisme. c’est-à-dire qu’une transformation progressive des différentes espèces vivantes était possible. Il leur apparut clairement que tout ce qui vivait avait une « histoire »: il existait autrefois des plantes et des animaux actuellement disparus et les espèces vivantes actuelles proviennent d’espèces antérieures dont elles représentent la forme évoluée (théorie de l’évolution).
Les nombreux fossiles mis à jour vinrent étayer sans équivoque cette théorie de la transformation des créatures vivantes (il en fut beaucoup question lors de la dernière exposition à Bruxelles sur les dinosaures). Il n’a pas été facile de faire admettre la théorie de l’évolution à cause du poids des principes religieux et philosophiques. Lamarck (un naturaliste français) fut le premier à donner une certaine forme à la théorie de l’évolution dans un travail important en 1809. Il essaya d’apporter une explication à l’évolution. Il a démontré que les créatures vivantes sont sensibles à tous les facteurs environnants et que les modifications dans les conditions de vie provoquent des changements résultant en une meilleure adaptation au milieu. Ces changements se nomment les caractères acquis.
Lamarck a mis en évidence que l’usage intensif d’un organe le renforce, au contraire de la non-utilisation qui ne favorise pas son développement. Ainsi l’exemple du puissant muscle du maréchal-ferrant résulte du maniement du marteau. Lamarck émit l’idée que cette adaptation individuelle se transmettrait de génération en génération aboutissant à ce que le Lamarckisme admettait comme l’hérédité des caractères acquis. L’évolution du cou de la girafe représente l’exemple classique du raisonnement selon Lamarck: « les girafes ancestrales avec leur petit cou essayaient de cueillir les feuilles des arbres (leur principale nourriture) en étirant le plus possible leur nuque: génération après génération. ce travail d’élongation afin d’atteindre les feuilles de plus en plus hautes, a transformé la girafe en un type moderne: un long cou et de longues pattes antérieures. Egalement, sur le plan mental, de pareilles opinions eurent cours à une certaine époque. Ainsi. certains affirmèrent par exemple que le fait de connaître le plus possible de mathématiques rendrait plus aisé pour les descendants l’apprentissage de l’arithmétique. Malgré son mérite, le travail de Lamarck tomba dans l’oubli. Vint ensuite Charles Darwin avec la publication de son livre surprenant « the origin of species » (l’origine des espèces). J’attire l’attention du lecteur sur le fait que ce n’était pas Darwin qui avait découvert I’ « évolution »: ce concept existait déjà avant lui. Il lui donna une autre dimension. Pour Darwin, la « sélection naturelle » est une donnée fondamentale de l’évolution. Il partit de l’observation qu’il existe des différences entre les individus d’une même espèce. Une modification pouvant être plus favorable qu’une autre et que certains individus étaient donc mieux adaptés aux conditions de vie et donc mieux « armés » dans la lutte pour la survie (the struggle for live); seuls ces derniers survivraient et auraient une descendance, avec pour conséquence qu’au cours des générations, les modifications favorables pourraient s’étendre doucement à toute la population. Le milieu exerce donc un tri. ce que l’on nomme la sélection naturelle. Il faut donc dire que Darwin, pas plus que Lamarck. ne démêla les causes et le mécanisme exact de l’évolution Il croyait également que l’usage ou le non-usage d’un organe ou d’une structure se reflétait dans les générations suivantes; il raisonna donc à partir de cela comme Lamarck. Darwin ne s’attaqua pas aux idées de Lamarck sur la transmission des caractères acquis. On ne peut cependant pas jeter la pierre à Darwin: la génétique n’était pas encore « née » en 1859. Le travail inédit de Grégor Mendel (pourtant un contemporain de Darwin) est resté longtemps méconnu, parce qu’il avait été publié à la hâte dans un périodique inconnu. Il fallut attendre jusque 1900 pour que son travail sur les lois de l’hérédité fut reconnu. Actuellement, tout le monde sait que les facteurs héréditaires sur lesquels Mendel a travaillé, sont transmis par les deux parents à leurs descendants lors de la conception. Pour la bonne compréhension, je pense qu’il est nécessaire de donner quelques explications très sobres, car je suis convaincu que chacun d’entre vous a déjà entendu parler de la question ou a suivi des émissions sur le sujet à la radio ou la télévision. Dans le noyau de la cellule se trouve de petits filaments (visibles seulement au microscope) appelés chromosomes. Ces derniers contiennent une grande quantité de « substances chimiques » que l’on nomme les gènes.
Les gènes des chromosomes sont comme les petites boules d’un chapelet, placées dans un ordre bien déterminé; ce sont les gènes qui sont responsables des conditions héréditaires. Ils représentent les caractères de l’hérédité qui furent pour la première fois identifiés par G. Mendel (il les appela les facteurs de l’hérédité). Ces dernières années, de grands progrès ont été réalisés dans ce domaine. Actuellement, la carte chromosomique de beaucoup d’animaux (également de l’homme et du pigeon) est connue (voir fig. 1 et 2).
Fig. 1. Carte chromosomique de l’homme (d’après Keeton et Gould). Dans le noyau de la cellule se trouve de petits filaments appelés chromosomes. Ces derniers contiennent une grande quantité de « substances chimiques » que l’on nomme les gènes. Les gènes des chromosomes sont comme les petites boules d’un chapelet. placées dans un ordre bien déterminé; ce sont les gènes qui sont responsables des conditions héréditaires. Ils représentent les caractères de l’hérédité qui furent pour la première fois identifiés par G. Mendel.
Fig. 2.Carte chromosomique d’un pigeon femelle (d’après Oguma, dans V. Vansalen).
Chez l’homme, on connaît même pour de nombreux gènes leur position exacte sur les chromosomes. Cela concerne principalement les gènes qui sont liés à l’une ou l’autre maladie héréditaire; ainsi par ex. il y a très peu de temps que l’on a identifié le gène responsable de l’asthme. Il est très important que le matériel génétique soit stable. Simplement, une mutation dans un chromosome ou dans un gène – une modification soudaine dans la composition chimique ou dans l’arrangement des gènes – peut entraîner quelque chose d’héréditaire. Certaines mutations se produisent spontanément, le plus souvent de manière peu remarquable. Grosso modo, l’on peut dire que la plupart des gènes ont une chance de muter sur un à 100 millions de divisions. Mais il existe des choses capables d’augmenter fortement le nombre de mutations: ce sont les agents « mutagènes ».
Il faut citer en premier lieu les rayons fortement énergétiques (la lumière ultra-violette, les rayons X, les rayons cosmiques, le rayonnement émis par le matériel radio-actif). Quelques substances chimiques sont également mutagènes. Ici il faut faire une observation intéressante.
Tout semble démontrer qu’il existe une relation entre la propriété que possède un agent chimique à provoquer une mutation génétique et ses propriétés cancérigènes favorisant le développement d’un cancer).
Les deux cas s’expliquent par une mutation: le premier sur une mutation des cellules normales du corps. Dans le premier cas, seulement des suites sont possibles pour la descendance. Le deuxième cas conduira à la maladie ou la dégénérescence (cancer). Pour les biologistes modernes (les néo-darwinistes), l’évolution par sélection naturelle est un processus à deux niveaux: primo, la production par mutation d’une variabilité héréditaire, secundo. le « rangement » de cette variabilité par sélection, par exemple en « extirpant » les mutants favorisés des autres (ces derniers sont rapidement éliminés dans la nature). La thèse néo-darwiniste resta encore quelque peu controversée jusqu’environ 1930, If y eut entretemps tellement de preuves – et il s’y en ajouta fréquemment – que comme l’on pouvait s’y attendre logiquement, le Lamarckisme sembla définitivement enterré avec les travaux de J. Huxley (comme par exemple le travail magistral en 4 volumes de H.G. Willems, G.P. Wells et J. Huxley, 1932). Rien n’était moins vrai. Il y eut en Union Soviétique un certain Lyssenko qui, grâce à la protection de Staline et ensuite de Kroutschev, continua de clamer dans son pays ses théories sur l’hérédité, théories qui en fait, revenaient à du pur néo-Lamarckisme. Lyssenko débuta sa carrière comme technicien agricole; en 1935, il commença son ascension et déjà en 1938 il était Président de l’Académie russe d’Agronomie. Aussitôt qu’il fut parvenu au sommet, Lyssenko devint une véritable terreur pour les biologistes qui ne voulaient pas rentrer dans le rang. Il fit fermer certains instituts de biologie, empêcha la participation des scientifiques à des congrès étrangers. Certains chercheurs (comme par ex. Müller, futur Prix Nobel) faisant autorité sur le plan de la génétique. durent s’exiler pendant un certain temps, d’autres (comme Vavilov, le prédécesseur de Lyssenko en tant que Président de l’Académie) fut enfermé dans un camp de travail.
L’explication d’une telle aliénation peut être résumée par une seule phrase de Lyssenko: « la génétique classique est fausse puisqu’elle est incompatible avec la doctrine marxiste-léniniste. » Vous pouvez voir quel genre de situation il est possible de créer en mélangeant la politique et la science: il n’est pas nécessaire de faire un dessin! Avec la mort de Staline en 1953, commença la fin de Lyssenko. Après que les grands noms de la biologie aient « ridiculisé » les théories de Lyssenko. un coup mortel lui fut porté lors d’un discours courageux du physicien A. Saccharov (plus tard Prix Nobel), prononcé à l’Académie des Sciences.
Ce fut, au soulagement de tous les biologistes du monde, la fin du Lyssenkisme, que l’on peut considérer comme le plus grand égarement de tous les temps de l’histoire des Sciences. Il est à peine nécessaire de préciser quel prix a payé l’Union Soviétique pour ce « déraillement »: l’agriculture et l’élevage ont souffert de sous-développement. Actuellement, on peut affirmer que notre incertitude concernant la théorie héréditaire classique est complètement oubliée: il a même été possible de donner une explication au niveau moléculaire à toutes les trouvailles de la génétique (un des chercheurs le plus renommé est le français Jacques Monod, un Prix Nobel). Il est clair qu’il n’est plus question de la transmission des caractères acquis, ce qui ne veut pas dire que le milieu n’a pas d’influence; mais seulement sur les individus et non sur l’évolution. En ce qui concerne la colombophilie et ces fausses affirmations, je conçois qu’elles soient plus le fait des amateurs âgés, mais elles sont toujours présentes, et il est facile de la vérifier en lisant régulièrement les reportages.
Prof. Dr. G. Van Grembergen
Notices :
Les facteurs héréditaires sont transmis par les deux parents à leurs descendants au moment de la fécondation.
[ Source: Article édité par Prof. Dr. G. Van. Grembergen – Revue PIGEON RIT ]
Pour vous abonner au Magazine PIGEON RIT – Cliquez sur le bouton ci-dessous !
L’hérédité mal comprise (2) – pigeon voyageur
Il ne comprends pas – pigeon voyageur
La glande uropygienne et le duvet poudreux chez le pigeon