La « PEUREUSE » raconte (5) – pigeon voyageur
Paris, mes bien chers amis, est la capitale de ce beau pays qu’on appelle la France. C’est une ville très sympathique que j’ai survolée tant de fois… et les gens y sont, paraît-il, également très sympathiques…. excepté, paraît-il, ou disons mieux…. excepté tout court, quand ils sont en voyage en France et ont quitté leur chère ville lumière, car alors ces mêmes messieurs-dames s’imaginent qu’ils colportent la lumière où ils vont….et, tel un réverbère éclairant la noire chaussée, regardent tout ce petit monde de la « province » de bien haut. C’est leur petit défaut… mais tous les gens en ont, soyons donc indulgents, nous les petites bêtes qui n’avons d’ailleurs pas de capitale parce que nous n’avons pas de défauts !
Perpignan, elle, est, tenez-vous bien, également une capitale, mais les gens de la région n’en sont pas si fiers que les Parisiens de la leur, car Perpignan malheureusement n’est que « La Capitale du vent ». Enfin, c’est toujours ça et leur vent est imbattable… il vous balaie tout sur son passage ! Je me rappelle ainsi avoir vu un beau matin s’envoler la tente de mon patron qui campait tout près d’ici à Canet-Plage. Un beau coup de vent… et je vis toute la petite famille, les parents et les sept enfants, en plein air. L’éveil fut brusque mais la tente s’était envolée à 100 mètres de là. Ça, c’est le vent de Perpignan…. Et je me demande encore qui s’est jamais mis en tête d’y lâcher des pigeons !
Aujourd’hui des records de vitesse seront battus… et au lieu de faire ma petite volée matinale, je préfère prendre mon bic et vous écrire l’histoire qui, je l’espère, va vous plaire, l’histoire de mon premier prix sur Libourne. En 1953, à l’âge de deux ans, on m’avait vraiment dorlotée, à part quelques petites étapes de 100 à 300 km, je fus laissée au repos. Ce ne serait pas le cas en 1954 : Quiévrain, Noyon, Dourdan, Tours, Périgueux, Libourne, St. Vincent, St. Sébastien… et puis pour finir la saison encore une petite promenade à Bourges, tel fut le programme qu’on me fit digérer ! Et mes prix ? 12e à Périgueux, 1er à Libourne, 5e à St. Vincent, 9e à St. Sébastien et 10e à Bourges ! Rien que cela ! Si vous ne me croyez pas, consultez les archives ! En 1954 je reçus un autre mari, que mes patrons avaient affublé du nom ridicule d’Edouard…Dites donc….Ouf ! … un nom d’homme ou plutôt un nom de roi, car moi je connais un peu mon histoire et d’ailleurs tout le monde le sait fort bien qu’Edouard VIII d’Angleterre n’était pas ce qu’on peut appeler un modèle d’époux ! Le mien l’était un peu trop, il ne regardait pas plus les autres femelles qu’il ne me regardait moi-même. Bref, à l’encontre d’Edouard, il paraissait ne pas s’y entendre en amour. Lorsque je fis le 12e prix à Périgueux, 15 jours avant « mon » Libourne, j’avais un jeune de 10 jours à l’enlogement. Je revins un peu pour mon jeune, et un tout petit peu pour mon Edouard. Je revis donc mon jeune, mais Edouard, celui-là je ne le reverrais plus. Ce Périgueux fut une petite promenade, heureusement l’étape n’était pas très dure. Je dis « heureusement » car je plains les pigeons qui tombent sur un mauvais concours national au début de juin. A cette époque on ne trouve rien au champ… on est bien forcé de traîner d’une ferme à l’autre jusqu’à ce qu’on trouve de quoi manger. Totalement vidé on ne s’oriente plus on reste sur place très longtemps… et on trouve toujours un copain complaisant pour vous conter fleurette. Alors c’est l’amour, le changement de domicile. Adieu veau, vache, cochons… votre patron n’explique pas ce retard prolongé…. Maintenant vous avez l’explication. Mais, de grâce, que les convoyeurs fassent doublement attention avant de nous lâcher au début de juin, très loin en France.
A la rentrée de Périgueux j’avais reçu dans ma boisson une bonne dose de miel.., et quelques graines légères: mon jeune était bien gavé à mon arrivée, ce qui est très important… Et le lendemain matin je reçus un bain bien chaud…. ce qui est également très important. Rentrée le samedi soir, j’aurais pu refaire la même étape 8 jours après! Jusqu’au jeudi, je ne reçus qu’un mélange dépuratif, et tous les soirs je fis ma volée avec les pigeonneaux, après que les veufs avaient fait la leur. J’habitais le colombier des « naturels » parmi cinq autres couples. Mes patrons m’enfermaient dans mon casier, et ne me libéraient que le soir avec les pigeonneaux…. de peur que je me fusse laissée séduire par un des cinq mâles. Manque de confiance de leur part, car, ça n’est pas mon genre. J’ai été bien élevée, moi, mes parents étaient des parents modèles, ils ont passé toute leur vie ensemble, sans aventure quelconque. L’exemple vient toujours d’en haut! Soit, passons! Tout compte fait ils avaient raison de se méfier de moi, car mon Edouard, je n’y tenais pas tellement, et je n’avais pas encore oublié mon petit « Bec », ce cajolant petit mâle, fils du « Héron », qui avait été mon premier amour après mon premier et unique coup de foudre en 1952! Pendant que je faisais le soir ma petite volée on laissait gaver mon jeune par un autre couple, de sorte que je sentis mes muscles gonfler de jour en jour. Le vendredi on m’enleva mon jeune, et on me montra en même temps, ah moment inoubliable! ma première petite folie, le « petit Bec »! Je ne fis que l’entrevoir, je vis comme il roucoulait chaudement… puis il disparut.
En guise de consolation, je reçus un bain très chaud, pour calmer mon ardeur. Jusqu’au mercredi suivant je reçus une bonne nourriture complète, mais servie très parcimonieusement. « La graisse c’est l’opium du pigeon… on l’endort petit à petit, et il n’est plus bon qu’à être mis dans la casserole »… C’est mon patron qui l’avait dit à Rikske, mon soigneur et il maintint ma ration du matin à une bonne cuillerée à café et celle du soir à une cuillerée à soupe. Le mercredi matin donc, je ne reçus pas à boire et je savais que ça signifiait quelque chose; le soir, pas de volée, mais après mon repas on me donna une boisson bien sucrée au sucre de candi. J’en bus une bonne gorgée. Qu’allait-il arriver?
Vers sept heures on me lâcha… et je remarquai qu’il y avait encore un pigeon en train de faire de petits tours au-dessus du colombier, pas bien haut pourtant. Dès qu’il me remarqua il claqua des ailes comme un fou… je crus délirer… mais oui… c’était le « petit Bec », mon amour! Nous fîmes quelques culbutes en l’air, puis on ouvrit le colombier et nous nous engouffrâmes dans la baie, tous les deux au comble de la joie. On nous laissa quelques minutes ensemble… mon chéri était tapi dans le plateau… et tandis que je lui chatouillais le cou… on me prit tout doucement pour me mettre au panier!
Cette fois, je le savais et mes patrons le savaient également, je battrais tous les records. Ce fut effectivement mon cas. Les 780 km de ce Libourne, si durs qu’ils fussent, je les grignotai un à un avec un courage indomptable… et je parvins à rejoindre mon colombier le même jour. Aucun autre pigeon ne revint dans la province d’Anvers le même jour. Malheureusement pour mes patrons et malgré toute ma bonne volonté, je fus encore battue au concours national par trois adversaires qui avaient une distance beaucoup moindre à parcourir.
A la rentrée je ne perdis pas une seconde… mais j’entends un de mes patrons encore crier à Rikske: « Laissons la « Peureuse » deux minutes avec son mâle avant de la constater, cela ne viendra pas à deux minutes près… et ce sera sa récompense pour sa rapide rentrée ». J’ai trouvé ça chic de la part de mon patron… et je n’allais plus jamais l’oublier… chaque fois je rentrerais sans tarder sur le toit! On me laissa mon « petit Bec » dans la petite moitié de notre casier; nous étions très heureux tous les deux…. Et mon petit chou me combla de caresses. Ce fut le plus beau jour de ma vie. Le soir on nous sépara, mais on laissa mon amour à côté de moi, toute la nuit. Le lendemain très tôt, je reçus un bain très chaud et quand on me remit dans mon casier, mon « petit Bec » avait disparu. Un peu triste je m’endormis pourtant bien vite sur une patte… la même avec laquelle je vous écrirai la suite de mon histoire.
La Peureuse ( à suivre )
[ Source: Article édité par M. Noël De Scheemaecker – Revue PIGEON RIT ]
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