La « PEUREUSE » raconte (6) – pigeon voyageur
C’est fou comme je me sens en forme ces derniers jours. Quand je me regarde dans l’eau claire de la belle fontaine qui embellit Perpignan, je peux me comparer à un paon tant mon plumage reluit. Je vois des reflets métalliques un peu partout sur mes plumes et, signe de toute grande forme, le dessus de ma tête semble poli d’un vernis de couleur pourpre ! Mes pattes sont chaudes et je me sens légère comme une alouette ! Je sais bien à quoi je puis attribuer cette santé resplendissante. Voici. Ici nous sommes en plein printemps et, lorsque je vais faire ma petite promenade dans les champs, je mange avec friandise toutes les petites graines déjà bien germées que je trouve à profusion en cette époque de l’année. Et ici, bien chers amis, je vous raconterai un petit secret bien simple mais qui est à mon avis le plus grand secret qui existe pour nous mettre en forme. Lorsque lors de mes longs voyages en compagnie de mes concurrents et concurrentes, nous bavardions un peu pendant que nous tapions dur des ailes, j’ai appris le petit secret que je vais vous raconter maintenant.
J’avais du mal à suivre deux pigeons, deux mâles d’un même colombier. Cela ne m’était encore jamais arrivé et j’étais intriguée. Avaient-ils été « dopés »? Cela arrive, mais de tels pigeons on ne les voit que deux ou trois fois en tête et puis on n’en entend plus parler. Non, ils paraissaient vraiment en toute grande forme mais n’avaient pas le regard hagard du pigeon qui a eu un « doping ». Je leur posai la question tout naïvement:
« Pourquoi volez-vous si vite… on a tout le temps, et c’est encore tellement loin ».
– Nous savons voler ainsi pendant des heures encore et nous ne nous sentons pas fatigués.
– Mais qu’avez-vous mangé de spécial pour être en telle forme… ou avez-vous été drogués ?
– Pas du tout, mais notre patron a son petit secret, et si tu promets de ne pas le raconter nous voulons bien te le dévoiler…
– D’accord, parole de pigeon !
– Eh bien voilà: devant notre colombier on nous a fait un petit jardin, exprès pour nous. Le patron y sème de temps à autre un peu de tout, d’habitude un mélange de petites graines, du froment, de l’orge, un peu de tout. Il recouvre une partie du petit champ, pas plus grand que notre colombier, avec du verre. Puis après quelques jours il enlève le verre, sème autre part, arrose un peu et ainsi de suite. Nous raffolons de ces graines germées que nous y trouvons… Tel est, chère petite maligne, le grand secret de notre forme….
– Moi, répliquai-je, je dois me contenter de quelques morceaux de carotte le lundi matin et de temps à autre de salade.
– Ce n’est déjà pas si mal que cela… mais, tu vois, nous pourrions te battre si nous le voulions mais tu es tellement sympathique que nous resterons en ta compagnie. Ah ! cette galanterie du sexe fort… et comme pour une fois, ils étaient bavards par dessus le marché… j’ai profité de cette leçon. Ainsi, quand j’ai le champ libre, je vais à la recherche de graines germées… C’est fou comme on en trouve dans les champs ! C’est aussi la raison pour laquelle, maintenant, je me sens tellement bien ! Mais avec tout cela je ne vous ai pas encore raconté mes beaux succès sur St. Vincent et St. Sébastien. Cette histoire est pourtant bien simple. Je vous ai raconté, qu’à mon retour de Libourne, à la tombée du soir, on m’avait laissé le chéri de mon coeur, le « Petit Bec » à côté de moi jusqu’au lendemain matin fort tôt. Je demeurai ainsi, enfermée dans mon casier, jusqu’à l’enlogement suivant sur St. Vincent, neuf jours plus tard. Pendant les trois premiers jours je ne reçus à manger qu’un léger mélange dépuratif. Les jours suivants je reçus le matin une bonne cuillerée à café de ce même mélange et le soir après ma volée une grosse cuillerée à soupe d’un mélange sport, avec du gros maïs jaune dont je raffole toujours d’ailleurs ! Oui, je dois vous dire que tous les soirs on me laissait faire la volée avec les pigeonneaux et qu’alors je volais une bonne demi-heure. Dans la boisson on m’ajouta les quatre derniers jours une bonne cuillerée à café de sucre candi dans un litre d’eau ! Ah, que c’était bon, et comme je me sentis gonfler ! Puis vint le fameux St. Vincent où on m’enlogea après m’avoir montré pendant quelques minutes le chéri de mon coeur ! Mon compagnon d’écurie à ce St. Vincent était mon frère, ce grand crack, que mes patrons appelaient le « Goliath », un veuf d’une endurance phénoménale, qui me battit d’ailleurs de dix minutes à cette mémorable étape! Lâchés de grand matin, nous avons lutté dur toute la journée. 950 km ce n’est pas une bagatelle. Le soir vers neuf heures moins le quart un de mes patrons, estimant toute rentrée impossible, descendit du colombier… et retourna chez lui à Schoten. L’autre était encore resté avec Rikske. Ceux-là, je le savais, ne s’en iraient que lorsqu’il ferait nuit! Nous étions encore ensemble, le Goliath et moi, à la frontière franco-belge… mais je dus le laisser filer tout seul tellement ses coups d’aile étaient encore puissants. Il arriva cinq minutes après qu’un de mes patrons eut quitté le colombier. Surprise ! L’autre téléphona la nouvelle à son frère qui la prit pour une bonne blague…. Croyant qu’on voulait le faire revenir pour…. rien! Dix minutes plus tard j’arrivais…. Un peu fatiguée tout de même. Second coup de téléphone de mon patron à son frère, qui maintenant trouva la blague un peu forte… et raccrocha sans mot dire l’écouteur. On n’insista plus et Rikske et mon patron convinrent de retéléphoner pour dire que ce n’était qu’une blague et qu’il ne devait pas se déranger! Nous avons bien rigolé lorsque le lendemain matin à quatre heures, nous vîmes l’autre patron arriver au colombier, ouvrir la baie et murmurer en soi: « Mais où sont donc les constateurs ? » Alors je lâchai un petit « oue… oue » Vous auriez dû voir sa tête quand il me remarqua, bien blottie dans mon coin, avec à côté de moi, séparé par la cloison, mon « Petit Bec » chéri ! Mon patron est reparti dormir… mais je doute qu’il ait fermé Au local de l’Union ce fut la consternation. Le concours ne faisait que commencer mais pour nous tout était déjà oublié ! Neuf jours par après je fus réenlogée sur St. Sébastien -1.000 km – et soignée exactement de la même façon qu’entre le Libourne et le St. Vincent. Je remportai le 9e prix. L’étape était vraiment très dure, vent d’est violent et une chaleur de tous les diables. C’est un autre compagnon d’écurie, le phénomène, car c’était un phénomène celui-là, qui y remporta le premier prix, le fameux « Petit Héron », frère de nid du « Petit Bec », tous deux fils de ma soeur la « Bolleke » avec le « Héron » le crack des cracks qui collectionna une bonne quinzaine de poules à mille francs dans les grand concours provinciaux et nationaux ! J’en ai assez raconté pour aujourd’hui. Je vais encore faire un petit tour au champ avant que le soleil se couche dans la grande mer bleue !
La Peureuse ( à suivre )
[ Source: Article édité par M. Noël De Scheemaecker – Revue PIGEON RIT ]
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