Le lâcher des pigeons voyageurs
Dans les concours de grand fond, lorsqu’on effectue un lâcher matinal, il arrive que seulement quelques pigeons des courts points parviennent à réintégrer leurs pénates le jour même du lâcher. Ceci fut considéré par bien des amateurs comme un désavantage flagrant pour les longs points. Ce sentiment gagna du terrain essentiellement aux Pays-Bas où, depuis de nombreuses années, cela conduisit à l’organisation de concours nationaux de fond et de grand fond avec un lâcher obligeant systématiquement les pigeons à déloger. De la sorte, on était persuadé de gommer l’inéquité, entre l’avant-main et l’arrière-main, avec un lâcher retardé jusqu’aux heures du midi. Je n’ai jamais partagé ce point de vue et, à plusieurs occasions, j’ai déjà eu la possibilité de prouver, chiffres à l’appui, qu’il était illusoire de penser donner des chances égales à tout le monde lorsqu’on joue dans un grand rayon, ce qui est tout particulièrement le cas pour les concours nationaux et internationaux où le front d’arrivée s’étend sur une très grande largeur et une très grande profondeur. En fait, avec de grandes différences de distance de vol (p. ex. entre le sud du rayon allemand et les longs points aux Pays-Bas il y a plus de 300 km de survol) on ne peut obtenir une égalité pour tous, quelque soit la manière dont le concours tourne: les conditions météorologiques et principalement la direction du vent jouent un rôle déterminant pour l’attribution des premières places.
En Belgique, les organisateurs n’ont pas suivi cette évolution quoique certaines tentatives répétées furent réalisées pour aller dans le même sens. C’est que je me rappelle qu’en 1985, deux concours internationaux avaient été organisés avec un lâcher retardé à midi: et Pau et Perpignan furent deux étapes de grand fond qui échouèrent.
Les organisateurs du Perpignan international tirèrent alors les conclusions tout logiquement de leur expérience: à partir de 1986, ils choisiraient résolument le lâcher matinal. Par contre, rien n’a changé pour Pau, jusqu’à présent. Mais tout comme en 1985, le Pau de l’année 1991 a suscité beaucoup de remous en Belgique. Les grands principes des organisateurs volèrent en éclats ces deux dernières années: les pigeons furent « chassés par le vent » à grande vitesse, avec pour conséquence que dans les deux cas quelques pigeons parvinrent à rejoindre leurs colombiers le jour même tandis qu’une série d’entre eux, ne s’occupant pas de la neutralisation, arrivèrent en pleine nuit ou très tôt le lendemain matin.
Lorsque le vol de nuit se produit, le pourcentage s’inverse irrémédiablement en défaveur des courts points. Ceci fut démontré de manière spectaculaire lors des concours internationaux de Pau en 1985 et 1991.
En 1985, malgré sa constatation à 21 h 35′, Roger Vereecke, vainqueur national belge, devait subir la concurrence de toute une série de pigeons hollandais qui avaient continué à voler bien longtemps après que la nuit soit tombée donc après le début de la neutralisation.
La victoire internationale revint à un amateur d’Amsterdam (230 km de survol en plus), le lendemain matin à 5 h. 50 (soit 50 minutes après la fin de la neutralisation).
En 1991, le scénario se répéta de la même manière. Trois pigeons du Nord de la France arrivèrent à leur colombier le jour du lâcher, dont le premier à 21 h 57′. Et encore cette fois-ci, ce pigeon fut battu: il se classa seulement à la 41ème place internationale après toute une série de pigeons en grande majorité hollandais qui s’étaient présentés le lendemain matin.
J’ai calculé que, dans ces cas de figure, pour pouvoir remporter le premier international, le pigeon de Vereecke aurait dû avoir en 1985 une heure d’avance supplémentaire et celui du français, l’année passée, une heure et demie d’avance; ce qui est tout à fait impossible. Chacun peut se rendre compte de la sorte que les pigeons de l’avant-main sont parfaitement sans défense face à leurs concurrents qui volent la nuit pour terminer leur parcours: chaque kilomètre volé par ces derniers en période de neutralisation est pur gain au regard de leurs concurrents des plus courts points.
L’apparition de telles « anormalités » a poussé certains chroniqueurs belges à remettre en question le système de neutralisation, certains ont même plaidé pour son abolition complète. Peut-être ces journalistes pensent-ils trouver en mon argumentation, développée ci-supra à propos de Pau, un coup de pouce pour leurs propres idées. Rien n’est moins vrai. Je ne me rallie pas du tout à leurs conclusions et cela apparaît très clairement dans mon article « Encore quelques remarques sur la biologie du vol, (2e point): neutralisation et barre des 800 m/ m » publié dans Pigeon Rit, nov. 1/91. Dans cet article qui traite d’une analyse de résultats colombophiles de 1975 confrontés à des investigations scientifiques récentes, je suis arrivé à la conclusion qu’aussi bien le début de la neutralisation que sa fin, telles qu’elles sont décrites officiellement par la R.F.C.B. correspondent parfaitement avec la réalité. Cela n’aurait donc pas de sens d’y apporter la moindre modification. Mais je tiens à insister sur un point: quand il s’agit de concours avec un lâcher matinal! En fait, il y a un monde de différence entre un lâcher matinal et un lâcher retardé. Et c’est là que le bat blesse!
Lorsque, lors d’un lâcher retardé, les conditions météorologiques sont favorables (fort vent poussant, excellente visibilité et p. ex. clair de lune), les meilleurs pointeurs ressentent peu de fatigue à la fin de la journée de vol: ils vont poursuivre leur route et certains vont même rallier leur colombier. Ce vol de nuit a pour conséquence que de tels pigeons atteignent des vitesses proprement irréalisables en raison de cette neutralisation du temps nocturne de vol. Le déroulement sportif est entaché et l’avant-main est d’avance battue. Je pourrais citer une série entière de concours à lâcher retardé où les circonstances firent en sorte qu’une partie des participants volèrent pendant la nuit et que la neutralisation ne fut pas équitable pour tous. Pour les Pays-Bas, je peux citer plusieurs nationaux de Bergerac; en 1985, les trois nationaux de St-Vincent, Dax et Bergerac. Pour la Belgique: Pau et Perpignan en 1985 et à nouveau Pau en 1991. La situation est toute différente lors des concours avec un lâcher matinal. Dans ces cas-ci, les pigeons ont toute la journée pour produire leur effort. S’il s’agit d’un concours très dur, bien des pigeons lèvent les ailes tôt en fin de journée et le verdict tombe. Les plus forts et les plus courageux, par contre, poursuivent leur route d’un trait au-delà des 13 ou 14 heures de vol, jusqu’à la montée de l’obscurité. Mais même eux qui ont puisé dans leurs forces doivent stopper: ils n’ont plus aucune tentation de voler plus loin dans l’obscurité.
A ce que je sache, lors de tels concours, il n’a jamais été question de vol nocturne en raison du fait qu’ils ne sont plus assez frais pour affronter un vol dans le noir. Et quoi qu’on puisse en dire, personne n’est battu d’avance dans ce cas-ci, même pas aux longs points. Dans ce cas-ci, les cartes ne sont pas faussées comme lors d’un lâcher retardé. Lors des différents concours nationaux de fond de Belgique avec un lâcher matinal, toutes les régions du Royaume ont eu, au fil des ans, leur part de victoires nationales.
Il est étonnant de constater comme diffèrent les positions des Belges et des Hollandais face à la neutralisation.
Il m’est tout à fait incompréhensible de constater que les Hollandais se soucient si peu de ce problème malgré le fait qu’ils soient très régulièrement confrontés au vol de nuit. Il n’est rien ressortit des concours de grand fond loupés comme ceux de 1985 ou encore de l’année passée. A la place de réagir, ils ont même renoncé volontairement à toute modification. On peut arriver à pareille conclusion quand on lit que les pigeons hollandais, enlogés pour Ruffec, avaient été ramenés à Orléans, en raison du mauvais temps, pour y être lâchés le 7 juillet à 17 heures: on voulait visiblement en faire un concours avec vol de nuit. Et bien entendu, les prix furent distribués.
De nouveau, il y eut des pigeons qui atteignirent des vitesses incroyables. C’est vraiment rechercher la difficulté! Ma conclusion peut se résumer brièvement de la sorte. Seuls les concours de fond avec un lâcher matinal offrent la garantie d’un déroulement régulier: il n’y a rien d’illogique dans le système de neutralisation du temps de vol. La solution ne se trouve pas dans la révision du système de neutralisation mais bien dans le bannissement des concours à lâcher retardé.
Prof. Dr. G. Van Grembergen
Notice:
Lorsque, lors d’un lâcher retardé, les conditions météorologiques sont favorables, les meilleurs pointeurs ressentent peu de fatigue à la fin de la journée de vol. Ils vont poursuivre leur route et certains vont même rallier leur colombier. Selon le Professeur Van Grembergen, on doit solutionner le problème des vitesses irréelles créées par le vol nocturne et la neutralisation non pas en revoyant la réglementation de la neutralisation mais en bannissant les lâchers retardés.
[ Source: Article édité par Prof. Dr. G. Van Grembergen– Revue PIGEON RIT ]
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