19 avril 2020 Par admin

Le marchand de rêve – pigeon voyageur

Flo et Fredo étaient attablés ce dimanche après-midi devant une bonne chope bien fraîche. Le concours du matin s’était bien déroulé et chacun d’eux espérait bien un résultat fort honorable. Ils attendaient la proclamation du résultat avec confiance, détaillant les mérites de chacun des pigeons constatés. Autour d’eux, les autres amateurs de la société devisaient des mêmes sujets. Les conversations entre colombophiles ne connaissent que peu de sujets différents, et surtout en pleine saison sportive.
« Ah », dit Flo, « si on trouvait un aliment qui donne encore plus de nerfs à nos pigeons ! » « Le doping, ça existe », rétorqua Fredo, « ça n’est pas un aliment, c’est dangereux pour les pigeons et puis c’est de la triche, c’est interdit. Et si tu es pris, tu es exclu du sport colombophile et tes copains ne te regardent plus. Tu deviens un paria… » C’est à ce moment qu’approcha un inconnu. Costume trois pièces, grosse chevalière à l’annulaire gauche, montre-bracelet . dorée, c’était un bourgeois.
« Messieurs, je vous ai entendu évoquer le problème des sur-aliments et du doping des pigeons.
Une conversation entre nous m’intéresserait beaucoup.
Voilà, je me présente, j’ai longtemps habité près de Liège et depuis une douzaine d’années, je jouais à pigeons. Mais j’étais arrivé à faire tellement de prix de tête que des jaloux ont obtenu des autres membres de ma société, la limitation de mes enjeux. Ça n’était plus intéressant, alors j’ai tout vendu et j’ai quitté le pays. Comme je n’ai plus de pigeons, je suis prêt à faire profiter de mon expérience et de mes secrets des amateurs qui voudraient me faire confiance. » « Voilà une proposition qui paraît intéressante », dit Fredo, « même quand on joue bien, on cherche toujours à mieux faire.
Personnellement, j’aimerais bien voir quelques-uns de mes pigeons figurer à un résultat national. » « On rêve tous de ça », appuya Flo. « Bien voilà », commença l’inconnu. « J’ai trouvé un aliment tout à fait spécial, qui fait voler les pigeons beaucoup plus vite. » « Comment cela? C’est un doping alors », fit Fredo. « Pas du tout, tenez en voilà de cet aliment. » Et il sortit de sa poche une petite boîte d’allumettes dans laquelle se trouvaient une vingtaine de petits grains brun-noirâtres, de la grosseur d’un bon grain de froment.
« Vous voyez cela, eh bien ce sont des pupes de « Musca Furiata ».
C’est une mouche originaire d’Indonésie qui vole à une vitesse formidable, 8.000 battements d’ailes à la seconde. Et elle peut voler à cette vitesse grâce à une hormone, la furiatine, qui excite les muscles du vol aussi bien chez le pigeon que chez d’autres oiseaux. » Cette démonstration, accompagnée de grands gestes, avait attiré autour de la table, cinq ou six autres amateurs. « Alors, si j’ai bien compris », dit l’un d’eux, « si un merle avale ce truc-là, il va voler plus vite qu’un pigeon. » « Non, mais il va voler plus vite que les autres merles. Ah bon !!i » « Pour ne rien vous cacher, j’élève de ces mouches dans un grand aquarium, chez moi. C’est très difficile: température régulière de 30° C, humidité constante, alimentation à base de viande de reptiles.
Surveillance étroite des œufs qui, à l’éclosion, donnent de minuscules asticots, asticots qui après quelques jours d’une nourriture à base d’œufs de poisson – c’est la meilleure – vont se transformer en pupes, comme je viens de vous en montrer.
Ces pupes se conservent au réfrigérateur. Tout cela revient évidemment très cher. Ce sont ces pupes qu’on donne aux pigeons, directement dans le bec à raison de deux par jour. Le plein effet est obtenu en une quinzaine de jours.
Après, il faut continuer trois jours de suite avant l’enlogement. » « C’est un gros travail », dit un amateur.
« Les pigeons doivent devenir sauvages, à les attraper ainsi tous les jours », ajouta un autre. « On n’a rien sans rien », dit l’inconnu.
« C’est à vous de voir si ça vous intéresse. Les pigeons n’arrivent pas à absorber les produits tout seuls 7 » interrogea un autre.
« Etant donné le prix de revient, il ne faut pas risquer de gâcher le produit. » « Oui, au fait, combien ça coûte vos… pupes 7 » « Cinq euros, les vingt. » « Mais c’est une fortune! Et puis qu’est ce qui nous prouve que c’est efficace 7 » « Moi j’en suis sûr et si je vous dévoile ces secrets aujourd’hui, c’est que je ne joue plus à pigeons. Et puis on peut toujours essayer sur un ou deux pigeons.
Moi, j’aimerais bien essayer », dit un jeunot. « Monsieur a l’air sincère et il semble avoir gagné de quoi s’offrir un beau costume et de beaux bijoux. C’est bon signe. » « Son costume, c’est peut-être avec l’argent qu’il a pris à des naïfs comme toi », rétorqua le président qui s’était approché. « On vous fait gober n’importe quoi à vous les amateurs, parce que vous n’êtes jamais satisfaits. » « Je vous fais observer monsieur le président, que c’est le propre de la compétition, on essaie toujours de faire mieux.
D’accord mais pas avec des asticots, jeune homme !!! » Deux hommes étaient entrés dans le café. Ils s’approchèrent, encadrant l’inconnu. L’un deux lui tapa sur l’épaule. « Monsieur Castafiore 7 » « Oui ». « Police, suivez nous s’il vous plait… »

[ Source: Article édité par Doc. Vét. J.P. STOSSKOPF – Revue PIGEON RIT ]