Les leçons de la saison écoulée – pigeon voyageur
Il y a dans notre sport, à mon avis, deux sortes d’amateurs bien caractérisés. D’abord ceux qui, inactifs, attendent patiemment, sans s’en faire, que des circonstances exceptionnellement favorables pour eux, leur permettent de remporter quelques prix. Un autre groupe de colombophiles – ce sont ceux qui forcent notre admiration – se démène afin de ne rien laisser au hasard. Ils réfléchissent et emploient les moyens qui les mèneront au but qu’ils se sont proposés. D’ailleurs, quelle ne doit pas être la satisfaction d’un amateur, si petit soit-il, de se voir récompenser dans sa persévérance et ses efforts en vue d’améliorer sa colonie ailée ? Mais combien d’amateurs ne rencontre-t-on pas qui passent des journées entières au colombier… sans que cela serve à quelque chose et d’autre part, combien n’en trouve-t-on pas non plus, chez lesquels le temps manque pour passer des heures parmi leurs champions et ce parce qu’ils savent ce qu’ils veulent et agissent selon le but qu’ils veulent atteindre. Le tout, pour un colombophile, est d’agir au moment opportun, et de ne pas se griser pour quelques succès, fatalement éphémères si on lâche un peu du « poil à la bête ». Surtout au stade où la colombophilie en est maintenant, il s’agit d’ouvrir ses yeux pour ne pas être surpris par le progrès très marquant en ce qui concerne le nombre de bons sujets et la façon de les soigner. Nous ne pouvons donc pas nous arrêter, au risque de dévaler la pente que nous sommes montés au prix de tant d’efforts.
1933, sera, tous en conviendront, une année de sélection ultra sévère, car la dépression économique nous force tous à ne retenir que ces pigeons en état de gagner leur pitance. Profitons de l’occasion pour étudier et fixer, autant que possible, une fois pour toutes, les défauts de notre colonie.
C’est devenu un fait assez rare de voir un même amateur se distinguer pendant plusieurs années de suite. Pourquoi ? D’abord à cause de la concurrence toujours croissante, et puis, parce qu’il suffit d’un rien pour nous tenir à l’écart des succès. (1)
Quand on nous parle d’un ancien champion, jadis imbattable, à l’instant au crépuscule du succès, on se dit tout naturellement : « Il ne doit pas avoir ouvert les yeux, pour laisser dégénérer ainsi ses pigeons ! »
Dans la conduite d’un colombier nous devons surtout porter notre attention sur la race, la souche, la santé, la force et le mordant. On ne saurait attacher assez d’importance à la santé. C’est à mon avis la pierre angulaire du succès durable. Dès que celle-ci faiblit, c’est fini, l’épée de Damoclès pend, menaçante, sur notre pigeonnier, et menace, à tout instant, de s’abattre sur les derniers restes d’une race minée. Alors tous nos efforts pour rassembler une belle collection auront été vains, car la base de l’édifice – la santé – vous glissera, insaisissable, de sous vos pieds… Oui, chers lecteurs, c’est parfois malheureux à voir, jouer tout ce qu’on veut, pour tomber précipitamment dans la médiocrité. La santé, la santé seule en est le motif. Des dizaines d’exemples me passent par la tête, de champions naguère invincibles, maintenant totalement déchus.
Je n’oublierai jamais le spectacle alarmant que j’ai vécu – voici quelques semaines – en visite chez un champion bruxellois qui avait connu une grande renommée, justifiée par des succès éclatants. Maintenant il se plaignait amèrement et il était littéralement désespéré par cette chute précipitée… il n’y avait rien à faire, ça allait de mal en pis… des petits prix… oui, mais tenir la tête de tous les palmarès, comme il l’aurait bien voulu… ce n’était plus qu’un rêve, et un souvenir lointain de ses succès d’antan qui s’estompaient déjà dans la brume du temps…
« Qu’est ce qui pourrait bien clocher à mes pigeons ? », questionna-t-il. La santé, rien que la santé ! De cette vitalité toute fraîche qui doit jaillir d’une nature saine et forte, plus aucune trace chez ces sujets en déclin, la santé se mine toujours plus d’année en année… c’est la fin.
« Oui, avouait-il alors, c’est ma propre faute, je n’aurais jamais dû accepter des pigeons de mon ami, car celui-ci avait chaque année un grand déchet de sujets malades. Le malheur a été que j’en ai tiré de bons jeunes, et maintenant que toute ma colonie est contaminée, je dois me rendre à l’évidence que tous mes pigeons sont atteints et ne retrouvent plus la forme nécessaire actuellement pour se classer honorablement.
» Leçon sévère pour tout amateur : réfléchissons trois fois avant d’introduire du sang nouveau au colombier, soyons surtout certains que la souche dont ils proviennent soit d’une santé irréprochable. Le point le plus délicat de notre sport consiste à produire non seulement de bons voyageurs, mais surtout à tirer des produits qui donneront eux-mêmes du bon. C’est ici surtout que la santé joue un grand rôle. La santé se porte garante de la « forme ». C’est un principe inéluctable, et qui explique l’irrégularité et l’inconstance des succès. Il est très rare de rencontrer des champions qui ne rencontrent pas des déboires, parce qu’il est plus rare encore de trouver une souche vraiment saine. Quand on la possède, il y a moyen de faire des merveilles par la méthode de consanguinité, mais gare à la débâcle, si la race tient jalousement cachée une tare ancestrale. Soyons donc radicaux, et tuons sans merci les pigeons tarés, plutôt que de nous exposer à un désastre toujours probable. Et parmi notre colonie, les sujets à forme inconstante et qui ne viennent qu’une fois sur trois, appartiennent souvent à cette catégorie (2).
La force a été, cette année surtout, mise à l’épreuve, tant de colombiers ont dû abandonner la lutte parce que leurs pigeons ne venaient plus en tête. La raison : faiblesse, et par conséquence le pigeon était « fini » après deux ou trois efforts consécutifs par temps dur. Des sujets à sternum étroit. et à respiration trop rapide n’ont absolument rien fait cette campagne. Observez chez vos amis et vous vous expliquerez ainsi bon nombre d’échecs. Attention donc – il faut absolument enrayer le mal en faisant regagner en force la colonie qui ne sait se classer par temps dur. Un sternum trop faible est le premier indice d’un affaiblissement de la race. A ce sujet, comparez vos sujets endurants à ceux qui reviennent fatigués et vous serez édifiés. Idem quant à la respiration. La colombophilie étant à un tournant de son histoire, si je puis parler ainsi, par le fait que seuls les pigeons de tête sont encore dignes d’être retenus pour l’avenir, on ne saurait assez conseiller aux amateurs de reproduire hardiment d’éléments jeunes et vigoureux. C’est la jeunesse qui donne le mordant à une colonie. Ne vous laissez donc pas surprendre par vos concurrents et ayez garde de vous attacher outre mesure à de trop vieux sujets (3).
Néanmoins, j’ai dû observer maintes fois que de nombreux amateurs possédant des sujets de la meilleure race et bien conditionnés, ne parviennent pas cependant à se classer honorablement. Surpopulation, colombier malsain ou manque de soins réguliers en sont souvent la cause.
Les uns disent : « Oui, je sais mon colombier n’est pas sain, et mes pigeons ne se tiennent pas en ordre… » Ils le disent et le redisent… sans se mettre à la besogne. S’ils jouent mal, c’est de leur propre faute… à moins qu’ils tiennent à faire muer à fond leur porte-monnaie. C’est dommage, mais c’en est ainsi chez tant d’amateurs ! D’autres se plaignent : « Oh, chez moi, il y a la moitié de pigeons de trop, c’est pour cela qu’ils ne viennent pas ! » Bon, mais pourquoi n’en tuent-ils pas la moitié ? Le vrai colombophile agit, mais ne se plaint pas auprès des autres pour ses propres bêtises ! Ceux qui ne savent pas ce qu’ils veulent, ou qui ne veulent pas ce qu’ils savent, ne deviendront jamais de bons joueurs – la décision leur manque.
D’autre part, les soins entrent pour une belle part dans les succès. Quand on entend dire par un homme comme Gust De Feyter, manager chez E. Havenith, que depuis plus de trente ans, il n’a jamais laissé une journée ses pigeons sans les soigner à la minute, l’on comprend mieux l’importance qu’il doit y avoir à soigner régulièrement sa colonie. Cet exemple de ce champion qui domine de loin tous les as anversois depuis trente ans, par la régularité de ses brillants succès, en dit bien plus long que le bavardage d’amateurs, qui aux comptoirs des cafés prétendent « que les pigeons viennent, pourvu qu’ils veulent », mais les malins oublient que d’habitude un pigeon veut lorsqu’il peut !
Noël De Scheemaecker
Notices :
(1) Le suivi médical n’existait pas en 1933 et on ne connaissait pas de médicaments spécifiques pour les pigeons. Le colombophile se souciait avant tout de garder ses pigeons en bonne santé. N’oublions pas que le transport vers le lieu de lâcher prenait plus de temps que de nos jours et que les pigeons couraient un plus grand risque de contracter une infection dans le panier. Totalement inconnue, la paratyphose provoquait l’effondrement de colonies championnes dans la plupart des cas.
(2) Comme il n’y avait pas de vétérinaires spécialisés et qu’il n’existait pas de médicaments spécifiques pour pigeons à l’époque le seul moyen de combattre le mal résidait dans l’élimination du pigeon malade. C’est la raison pour laquelle Noël De Scheemaecker conseille d’éliminer tout sujet de santé chancelante. Incontestablement une bonne solution.
(3) Septante ans plus tard, de nombreux amateurs sont toujours d’avis que l’on a plus de chance d’élever de bons pigeons avec des jeunes reproducteurs. Cette théorie ne jouit d’aucun appui scientifique. Les exemples de vieux producteurs qui donnent de bons jeunes sont nombreux. Nous visons dans ce cas de vrais bons couples ou des couples « en or » comme l’on dit.
[ Source: Article édité par M. Noël De Scheemaecker – Revue PIGEON RIT ]
Pour vous abonner au Magazine PIGEON RIT – Cliquez sur le bouton ci-dessous !
Fin de saison – pigeon voyageur
Bilan de la saison – pigeon voyageur