Parlons un peu de l’aile de pigeons
Débutant:
La nuit passée, comme mes pensées allaient vers le dialogue que nous allions avoir aujourd’hui, j’ai eu le sentiment, cher maître, que tu devais porter le pigeon dans ton coeur, que tu devais l’aimer très fort pour parler et reparler sans cesse avec moi à leur sujet.
Victor:
Je dois t’avouer que le pigeon occupe une part importante dans ma vie, et donc dans mon coeur. Car tout ce qui ne passe pas par le coeur ne vaut pas la peine d’être vécu…
Débutant:
Mais l’aile, cher maître, dont nous allons parler, et qui, d’après les théorciens Somville et Vanderschelden, fait « toute » la valeur d’un pigeon, qu’en penses-tu?
Victor:
C’est l’orgueil qui nous perd, ou bien l’ignorance, ce qui revient au même. Car les « intégristes » — mot à la mode — de la théorie de l’aile se sont perdus, éblouis qu’ils furent par le phare qu’avaient dirigé sur eux les théoriciens. Car, vois-tu, ils est dangereux et présomptueux, d’avancer une théorie quand on s’engage dans les méandres mystérieux de la nature. La nature, elle, est « toute » la Science, la nôtre n’est que fragmentaire, et les fragments sont bien petits.
Mon ami Henri Landercy, dans le numéro de « Pigeon Rit » septembre 80 a fort bien expliqué le pour et le contre de certaines ailes. Je ne puis pas ajouter beaucoup à ce qu’il en a dit.
Débutant:
Mais de quoi allons-nous alors parler?… puisque tout a déjà été dit sur l’aile?
Victor:
Je ne crois pas que tout a déjà été dit.
C’est une vérité à la Palice, mais c’est une vérité. Et elle mérite que l’on y réfléchisse. Or l’aile d’un pigeon n’est pas une chose simple. Vanderschelden a voulu la rendre simple en la soumettant à des chiffres. Et les chiffres… c’est ce qu’il y a de plus simple… c’est exact… C’est clair.
Quelle erreur que de vouloir « chiffrer la nature! On a vendu des instruments spéciaux pour mesurer la longueur de l’aile et de l’arrière-aile. Beaucoup de colombophiles s’y sont laissés prendre — et beaucoup s’y sont perdus — car la nature vivante n’est pas si simple, et ne se laisse pas chiffrer.
La nature-elle-sait chiffrer. Mais elle chiffre à sa manière… et qui n’est pas la nôtre. Et c’est de cela que je voudrais te parler.
Débutant:
Tu m’as montré la petite femelle bleue-celle qu’on appelle maintenant la « petite Nationale » parcequ’elle a remporté cette année deux fois un premier prix national, fait sans doute unique dans les annales de la colombophilie belge. Et ce qui m’a frappé c’est sa petite aile et ses plumes assez pointues.
Victor:
Et pourtant elle a laissé derrière elle, en les lâchant, tous ses concurrents, mâles et femelles, de la Belgique entière. Et cela deux fois de suite. Elle devait donc disposer d’une aile « parfaite ». Or ce n’est pas le cas. Il y a donc autre chose, et cet autre chose doit compter pour beaucoup pour lui permettre de voler plus vite que tous les autres.
Débutant:
Je suis curieux de savoir comment tu pourras expliquer les prouesses de la « petite Nationale ».
Victor:
Par sa « motivation » extraordinaire. « Motivation », étymologiquement signifie « ce qui fait agir ». En fait on pourrait dire que motivation = vie, car sans mouvement il n’y a pas de vie. Et en fin de compte la motivation est l’expression de la vitalité. Sans vitalité pas de motivation. Comme quoi physique et psychique se tiennent étroite-ment, et sont, dans tout être vivant, indissociables.
Débutant:
Tu peux avoir raison. Il a quelque jours j’entendis Peter Post, le manager de Raes, Kneteman, Zoetemelk etc… répondre à un journaliste sportif qui lui demandait si ses champions allaient participer à la dernière grande course cycliste classique, le Tour de Lombardie. « Non, car mes hommes ne sont plus assez « motivés » pour pouvoir gagner ».
Victor:
Et Merckx ne disait-il pas que celui qui pouvait « souffrir » le plus disposait d’un attout extraordinaire pour gagner. On pourrait remplacer le mot « souffrir » par « être motivé », car cela revient souvent au même.
Quand feu mon ami. Jef van Riel, après avoir longuement observé l’expression de l’oeil d’un pigeon, disait « celui-ci pourrait être un bon pigeon » c’est parce qu’il avait cru remarquer dans les yeux l’expression d’une volonté, d’une motivation intérieure, d’un tempérament de vainqueur.
Paul Sion, que j’ai fort bien connu, et que je considère parmi les colombophiles comme un des plus grands, sinon le plus grand, vint un jour voir mes pigeons. En ouvrant la porte d’un colombier et en observant la douzaine de pigeons qui s’y trouvaient, me dit: voilà le meilleur » en me montrant du doigt le « Kaers ». Un phénomène dont les exploits allaient s’échelonner sur 7 années à l’Union d’Anvers. « C’est le meilleur parce qu’il regarde comme cela » et, donnant à ses yeux une expression terrible en louchant vers la pointe de son nez, Paul Sion tâchait d’imiter l’expression de volonté dans le regard du « Kaers ».
Débutant:
La volonté, la motivation, en quoi sont-elles alors si importantes, sont-elles capables de faire voler un pigeon plus vite que les autres… car là est toute la question — et cela malgré une aile qui n’est pas parfaite?
Victor:
Absolument, et cela implique donc que la « puissance de la motivation » est une qualité qui prime sur la qualité de l’aile. Mais c’est une qualité bien plus rare. Les héros sont rares, car l’héroïsme suppose une motivation extrême.
Mais à ta question « en quoi la motivation peut-elle faire voler un pigeon plus vite que les autres » je voudrais répondre par le raisonnement suivant. Quelle force, quelle impulsion incite le pigeon à se détacher de la masse et de filer tout seul vers son colombier. C’est sa volonté de rejoindre au plus vite son colombier. Du moment qu’il a cette motivation, il ne s’occupe plus des autres pigeons.
Je suis persuadé que le pigeon qui vole le plus longtemps seul doit battre ses concurrents qui restent groupés, et ne se dispersent qu’au dernier moment.
Débutant:
Cela me paraît clair. Tout d’abord le « motivé » fera un minimum de détours; ensuite il volera plus vite en volant seul, à condition toute-fois que son aile le lui permette.
Victor:
Et nous voilà revenu à l’aile. Il est certain que des milliers de concurrents de la « petite Nationale » ont une meilleure aile que celle-ci. Et pourtant, ils sont tous battus.
Débutant:
Comment expliquer cela?
Victor:
Par le fait qu’on ne peut « chiffrer » la nature. L’aile doit avoir certaines qualités, mais la nature peut compenser énormément un petit défaut « théorique » par un truc quelconque que nous ne connaissons pas. Je ne vois pas d’autre explication.
La grande qualité de l’aile de la « petite Nationale » je crois qu’elle consiste dans le fait que son arrière-aile, assez courte, est recouverte jusque très près de l’extrémité des grandes plumes de l’arrière-aile. Ainsi elle résiste bien à la poussée des doigts. Mais son aile est courte: 22 cm et donc d’après ce chiffre, trop petite pour pouvoir voler vite. Ce qui compense chez elle les « défauts »(?) dans l’aile, c’est une motivation extraordinaire.
Jef van Riel m’a dit le jour qu’il classait ses trois premiers désignés dans les 15 premiers prix au concours national de Barcelone: « nos pigeons sont trop volontaires… » Mais c’étaient, à cette époque, les meilleurs pigeons du monde. Nous savons pourquoi !
Un colombier de producteurs où cette qualité est absente conduit le colombier à sa déchéance, et les plus belles ailes du monde n’y changeront rien.
Débutant:
Mais comment savoir si un pigeon a cette vitalité, cette motivation qui lui permet de vaincre?
Victor:
Il y a certains signes qui peuvent nous aider à les découvrir. Nous en parlerons la prochaine fois.
Noël De Scheemaecker
Paul Sion désigna le « Kaers » comme le meilleur pigeon du colombier. Le « Kaers- des Frs. De Scheemaecker fut pendant sept ans la vedette à l’Union d’Anvers. Le regard de ce crack exprimait une grande volonté, une volonté de vaincre. Si cette qualité fait défaut, les plus belles et les meilleures ailes ne pourront jamais la compenser.
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La grande qualité de l’aile de la « Petite Nationale » s’explique probablement par le fait que son arrière-aile, assez courte, est recouverte jusque très près de l’extrémité des grandes plumes de l’arrière-aile. Ainsi elle résiste bien à la poussée des doigts. Son aile est courte, 22 cm, et d’après les théoriciens elle est trop petite pour pouvoir voler vite. Mais ce qui compense chez elle ce défaut théorique, c’est une motivation extraordinaire.
[ Source: Article édité par M. Noël De Scheemaecker – Revue PIGEON RIT ]
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