Les différences entre pigeons de demi-fond et de fond
Débutant :
En terminant notre dernière causerie, tu m’avais promis de parler cette fois des qualités spécifiques du pigeon de demi-fond. Tu m’avais dit que le pigeon de demi-fond se distinguait sur-tout par certaines proportions quant à l’aile par rapport au corps, et que la musculature était capitale pour les pigeons de demi-fond.
Victor :
Eh bien, oui. Et je puis illustrer tout ceci par certains exemples. J’ai assez bien connu les fameux pointeurs des frères Marissen, qui, à l’Union d’Anvers, remportaient plusieurs fois les deux ou les trois premiers prix, surtout par temps dur. Un jour il me passa en mains, à l’enlogement pour un concours sur Chartres (380 km) ses trois premiers marqués. Il y avait là son « Schobbiak », son « Schorremorre » et son « Scheemaecker ». Et je fus frappé, cette fois spéciale-ment, par la puissance musculaire de ces trois cracks. Ils avaient une poitrine très large et gonflée de muscles. Ces pigeons tombaient littérale-ment vers l’avant par le poids de leurs muscles pectoraux. Ils avaient en outre une aile extrême-ment puissante et assez longue — ce qui est assez rare chez un pigeon fort musclé. Je me trouvais devant trois pigeons exceptionnels, mais qui, au delà de 400 km perdaient leur suprématie.
Débutant:
Ici il faut poser la question : pour-quoi ?
Victor :
Très exactement. L’explication te semblera assez logique. La voici. Ce qui leur manquait pour être des pigeons de fond, c’étaient précisément les qualités qui font le pigeon de fond : c.-à-d. un poids spécifique assez bas, et une certaine souplesse dans l’aile et le corps qui leur aurait permis de tenir quelques heures de plus dans le peleton de tête.
Et ici je suis tout naturellement obligé de parler des pigeons de Huykens-Van Riel, qui, eux, pouvaient tenir toutes les distances. Nous nous trouvons ici en face de deux colombiers tout à fait exceptionnels. Une preuve : au Cormeilles à l’Union d’Anvers, parmi plus de quatre mille pigeons, les frères Marissen classèrent cinq pigeons dans les dix premiers et Huykens-Van Riel quatre. Ce qui est tout bonnement phénoménal ! Le premier était situé à l’extrème est du rayon de 15 kilomètres, et l’autre tout à l’ouest du rayon, ce qui rend leur performance encore plus incroyable.
Mais pourquoi les Huyskens-Van Riel, avec leur « Bliksern », le « Vendôme », le « Zotteke », le « Bene. », le « Verroeste », le « 16 », le « Steek » et tutti-quanti surclassaient-ils les cracks de Maris-sen dès que les distances augmentaient. Car ces pigeons ont des prouesses à leur actif sur Libourne, St.-Vincent et Barcelone, tout en étant imbattables sur 100 km. Nul doute d’ailleurs qu’il n’y ait jamais eu au monde des champions de cette classe.
L’ami Jef Van Riel tenait sans doute le bon bout quand il me dit un jour qu’il n’aimait pas des pigeons trop souples. Ces pigeons manquent sou-vent de nervosité, disait-il.
Débutant :
Mais alors ce n’étaient pas des pigeons qui avaient toutes les qualités spécifiques du pigeon de fond ?
Victor:
En effet, mais ils comblaient ce handicap par une volonté de vaincre extraordinaire. Leur potentiel nerveux était quasi inépuisable. Mais Jef a également fait l’expérience que c’étaient des pigeons qui se donnaient à fond jusqu’au bout du rouleau. Et c’est ainsi qu’il a perdu plusieurs cracks au grand fond, alors que les autres pigeons — plus lents, moins nerveux—arrivaient.., sans trop se fatiguer.
Débutant :
Oui, je me rappelle qu’un jour Huyskens dit avec mélancolie ces mots sublimes : nos pigeons sont trop volontaires. C’était le soir, le second jour de vol d’un terrible Barcelone par un temps extrêmement dur — chaleur et vent d’est — et aucun de leurs pigeons n’était encore rentré. Mais le lendemain matin il constatait ses trois premiers marqués en quelques minutes, les classant tous les trois dans les vingt premiers parmi plus de trois mille pigeons ! Ici encore c’était la classe et la volonté de vaincre qui avaient eu le dessus. Mais la volonté est limitée par le physique, et un jour sur Burgos — 1.200 km — plusieurs de leurs cracks ne rentrèrent pas : succombés sur le champ d’honneur ! Cela, je me le rappelle encore…
Victor :
Et là, le tandem Huyskens-Van Riel réalisa qu’il y a une limite à tout. Mais, tout de même, quels champions ! Et s’ils, avaient eu un peu moins de nerfs, un peu plus de souplesse, ils rentraient au colombier, mes- au ralenti, et le ralenti, ils ne le connaissaient pas, ces fonceurs. On pourrait les comparer, mutatis mutandis, à Eddy Merckx. Cette rage de vaincre, de se donner à fond, c’est inné. En colombophilie c’est la qua-lité la plus grande, mais aussi la plus difficile à trouver. Chez les Van Riel ce feu intérieur se dévoilait dans le regard, dans ses éclats de lumière qui partaient de la pupille — je ne puis l’expliquer autrement.
Débutant :
Et c’est ici, cher maître, que je vois toute la joie que donne la colombophilie : ce contact du colombophile avec l’oeil du pigeon et qui le fait pénétrer dans le mystère intérieur du pigeon.
Victor :
Le pigeon de demi-fond doit avoir une musculature rebondie, mais dès que le poids augmente il devra compenser ce handicap pour les concours de fond, par une santé à toute épreuve et une volonté de vaincre qui fait reculer les limites de l’endurance. Mais les qualités spécifiques, et musculaires surtout, des cracks de Maris-sen avaient atteint un degré qui les empêchait de tenir de longues heures : leur poids devenait un handicap insurmontable, même pour des pigeons volontaires.
Chez les Van Riel, les proportions étaient plus harmonieuses. L’ossature était plus ramassée, et la musculature moins pesante. Les Marissen avaient une ossature profonde et large, bourrée de muscles. Puissance et endurance vant rarement de pair dans la nature.
Débutant:
J’ai l’impression cher maître, qu’en colombophilie on avance encore le plus facilement en analysant les qualités spécifiques de certaines races. C’est pourquoi notre causerie de ce jour m’a fait tant de plaisir.
Victor :
Merci, car le plus grand éloge qu’on puisse faire à un « maître’, comme tu m’appelles, est de dire qu’il est « facile ».
Et à l’école on reconnait le bon maître au fait qu’aucun de ses élèves n’est -recalé »!
[ Source: Article édité par M. Noël De Scheemaecker – Revue PIGEON RIT ]
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