Seule la tranquillité maintiendra nos pigeons en forme
« Le moral augmente avec la santé corporelle, mais la santé du corps tombe rapidement lorsque le moral n’y est plus », écrivait Noël De Scheemaecker. Cette vérité vaut autant pour l’homme que pour le pigeon.
« Finalement, il n’y manque rien, absolument rien ! », disait récemment le docteur à l’hôpital, alors qu’on lui amenait un jeune homme, dont les parents prétendaient qu’il ne pouvait plus marcher. On le mit sur un lit et, après minutieux examen, le docteur émit, en conscience, le diagnostic cité au début de cet article. Il se trouvait devant un cas d’autosuggestion, autrement dit un cas de « self-contrôle » anormal. « Après quelques injections malheureusement fort douloureuses », dit-il au faux paralytique, « vous pourrez à nouveau marcher ! » Et il lui fit une brûlante piqûre à l’éther. Puis, il déclara qu’une dizaine d’injections de plus en plus fortes suffiraient pour provoquer la guérison complète. Mais le lendemain, lorsque le médecin parut avec sa seringue, le malade s’enfuit et bondit sur une table, en criant: « Non, docteur, cela fait trop mal ! » La terreur le faisait courir aussi vite que n’importe qui! La sensation de frayeur lui avait chassé de la tête une autre pensée fatale, une pensée qui le suggestionnait, au point de lui faire croire qu’il ne pouvait plus marcher.
Vous vous demanderez certainement ce que tout cela peut bien venir faire dans un article relatif aux pigeons. Cette histoire a beaucoup à voir avec nos favoris, énormément même, car ici nous arrivons sur le terrain capital du « pigeon intérieur ». Le rôle du colombophile, comme celui du médecin, consiste à maintenir l’équilibre physique. Il est vrai qu’on peut difficilement parler de « forme morale » chez les pigeons, parce qu’un pigeon ne pense pas et que, seuls, ses instincts réagissent contre les circonstances extérieures. C’est précisément le motif pour lequel l’amateur doit veiller à ce que les circonstances extérieures aient une influence favorable sur les instincts de ses pensionnaires. Les instincts à exciter sont ceux qui attachent le pigeon à son colombier. Quand les oiseaux n’ont pas d’attachement pour leur colombier, ils ne tombent pas. Le moral doit y être et le moral, c’est l’ardent désir de revoir au plus vite le colombier. Le moral augmente avec la santé corporelle, mais la santé du corps tombe rapidement lorsque le moral n’y est plus (1).Pratiquement, il faut donc:
1) connaître les instincts du pigeon qui sont le plus facilement excitables ;
2) faire réagir ces instincts, dans le but d’augmenter l’amour du colombier chez l’oiseau considéré.
A mon avis, c’est l’attachement au conjoint qui, généralement, est le meilleur excitant pour augmenter l’amour du colombier. C’est pour cela que les veufs arrivent si vite en forme. Mais c’est aussi la raison pour laquelle la forme disparaît si vite chez les veufs. En fait, ce qu’il faut faire, pour eux, c’est mater la forme. Un exemple: il y a deux ans, il y eut, à Anvers, un bon amateur qui, deux dimanches de suite, remporta des succès fantastiques. Il jouait le veuvage. Comme je lui disais qu’il laissait probablement voler ses mâles avec leur femelle, au retour des concours, il répondit: « Oui, et alors, ils s’en donnent comme des fous. Ils volent, claquent des ailes, se rapprochent de leur femelle, s’envolent à nouveau, durant des heures et des heures! » « Dans ce cas », lui fis-je remarquer, « la forme peut encore durer un dimanche ou deux, puis la chandelle sera brûlée ! » En effet, le troisième dimanche, les rentrées étaient déjà moins bonnes. Ensuite, les veufs eurent toutes les peines du monde à gagner un petit prix. Si j’ai choisi cet exemple, c’est pour vous montrer que le pigeon doit avoir toujours un certain repos, un repos moral principalement, afin de permettre au corps de se remettre des violents efforts qu’il a accomplis. Celui qui néglige le repos, chasse la forme de son colombier. C’est précisément là que réside l’art de l’amateur: connaître la mesure exacte entre l’excitation incessante d’un instinct et le répit à accorder au corps et à l’esprit. Sachez bien, amis lecteurs, que le calme fera faire plus de prix que l’excitation. C’est pour ce motif qu’il est à déconseiller de laisser sortir le veuf avec sa femelle, soit au colombier, soit dehors, lorsqu’il vient de rentrer du concours. Il vaut mieux renfermer les couples au casier et sitôt qu’on enlève les femelles, faire l’obscurité pour obliger les mâles au repos. Je dois avouer que chaque fois que j’arrive au pigeonnier, mes premiers mots sont: les pigeons sont-ils assez calmes ? Vous vous faites donc une idée de l’importance du sujet que nous traitons: connaître la dose exacte d’excitation instinctive que l’on peut imposer au pigeon. Cette dose peut être d’autant plus forte que le répit sera plus profond et plus long. Vous voyez, chers lecteurs, que le sujet en lui-même vaut qu’on l’étudie. En tout cas, c’est le facteur principal du succès durable (2).
Nous pouvons bien dire que nos propres pigeons restent en forme toute une saison. Du premier au dernier dimanche, ils volent en pleine possession de leurs moyens. J’attribue ce fait à la circonstance que nos pigeons sont toujours calmes. Et ils doivent l’être toute la semaine, en dehors du dimanche, où il leur faut voler à plein gaz. a toutes sortes de petits trucs pour exciter les instincts du pigeon. Nos lecteurs en connaissent beaucoup et nous y reviendrons dans deux mois, quand ce sera nécessaire, car il est fort dangereux de recourir à des trucs pour exciter les pigeons dès le printemps. Primo, parce qu’on peut très bien arriver ainsi à vider l’oiseau et secundo, parce qu’il arrive rarement qu’un pigeon soit en vraie forme corporelle avant les premières chaleurs de mai. C’est ainsi que l’on compromet aisément toute sa campagne.
Noël De Scheemaecker
Notices:
1. En 1937 Noël De Scheemaecker écrivait en ces colonnes: « Quand les oiseaux n’ont pas d’attachement pour leur colombier, ils ne tombent pas », donc il doit se sentir chez lui au colombier. Ce doit être ce que pense tout bon colombophile de nos jours. Notre collaborateur a été convaincu, sa vie durant, que le colombier joue un rôle capital pour la santé et la forme du pigeon, il ne manquait pas d’expérience en la matière. Il a visité un millier de colombiers et il a joué sur sept colombiers différents au cours de sa longue carrière.
2. Les chemins sont nombreux pour mener au succès en colombophilie, mais il n’est pas un système de jeu, voir un mélange de graines qui peut garantir le succès. Il est aussi plusieurs règles à observer si l’on veut éviter les déboires. Ce que Noël De Scheemaecker écrivait ici il y a septante ans, concernant l’art du colombophile pour trouver le bon équilibre entre instinct, excitation et repos des « veufs » est très juste. Il y a septante ans le système du veuvage était tout nouveau et très intéressant pour ses lecteurs.
[ Source: Article édité par M. Noël De Scheemaecker – Revue PIGEON RIT ]
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