La peur d’éliminer un bon pigeon
Débutant:
Tu m’avais dit pour terminer une causerie récente, que la saison 1980 t’avait appris certaines choses sur l’aile de pigeon… et le reste. Je suis curieux de savoir de quoi il s’agit.
Victor:
Je dois t’avouer qu’il est très difficile de parler de l’aile quand on ne sait pas « chiffrer » celle-ci. Or l’aile n’est pas « chiffrable », je te l’avais déjà dit la dernière fois, puisqu’il n’y a pas deux pigeons identiques, que tous les pigeons présentent des différences sous l’un ou l’autre aspect, il est impossible de spécifier l’aile standard idéale. Et cela pour la raison toute simple que seule la proportion entre l’aile et le reste conditionne la facilité de vol, sa vitesse et sa puissance. Il y a mille combinaisons possibles.
Débutant:
Mais dis-moi alors comment une aile peut être proportionnelle ou non à ce que tu appel-les le « reste », c.-à-d. le corps sans l’aile.
Victor:
Lorsqu’il est difficile d’expliquer clairement ce que l’on pense, il est utile de recourir à des exemples. Il y a quelques jours un ami me demanda de venir voir une grande série de jeunes qui provenaient d’un champion réputé. Il y avait là une trentaine de pigeonneaux qui avaient presque terminé leur mue. Lorsque je jetai un coup d’oeil sur cette série de jeunes en pénétrant dans le colombier spécial qui leur avait été réservé, je fus frappé par leur beauté. Je complimentai mon ami, mais je lui dis: « on va voir si en mains ils plaisent autant qu’à première vue… »
A part 3-4 jeunes qui me plaisaient bien, je fus vraiment déçu. Tous ces pigeons avaient atteint la limite au-delà de laquelle on ne peut aller. Ils étaient bâtis comme des luteurs. Larges, reins solides, fourche dure et fermée, ossature solide mais raide, muscles abondants mais durs, et une aile avec des pennes très larges, mais un peu mince. Des yeux richement pigmentés. Il m’était difficile de répondre à sa question « comment les trouves-tu…? » Mais après les avoir pris tous en main, ma réponse fut nette :’lls sont solides… » et je le vis sourire de satisfaction, « solides comme des camions… » et alors son sourire se figea, car il comprenait que ma réponse équivalait à un déclassement.
Remarquant sa déception, je lui dis que parmi la trentaine de pigeonneaux que j’avais examinés il y avait trois femelles qui plaisaient bien.
Débutant:
Trois sur trente c’est peu quand celui qui les a élevés est un grand champion.
Victor:
Mais non, si on élève un bon sur dix on est déjà très fort. Je puis me tromper, et parmi ces trois il n’y en a peut-être qu’un bon, ou bien aucun… Mais parmi les autres, parmi les camions, là je suis sûr de ne pas m’être trompé: avec de tels pigeons pas moyen de progresser-on est à la limite, et près du précipice. Car l’équilibre, la bonne proportion entre l’aile et le reste deviennent très problématiques.
Débutant:
Dans la sélection de fin d’année il faut donc être ultra sévère pour ce type de pigeons. C’est bien cela que tu voulais me dire?
Victor:
Oui, c’est bien cela… Mais en rapport avec sélection parlons un peu d’un aspect de la question que beaucoup de colombophiles négligent, et qui est primordial, le rôle du colombier. La sélection de fin d’année on ne peut la faire convenablement si on n’associe pas qualité des pigeons avec qualité du ou des colombiers. Et la grande erreur que l’on commet en général, est de commencer à réfléchir quand la saison sportive approche.
Or, c’est maintenant, après la saison sportive, et avant l’hiver que l’on doit passer en revue tout ce qui a pu contribuer au succès ou à l’échec. Après l’hiver il sera trop tard.
Débutant:
Et que doit-on passer en revue?
Victor:
C’est bien simple: le colombier — car c’est le facteur principal ensuite les pigeons, les producteurs et les voyageurs.
En ce qui concerne le colombier, je ne com-prends pas ceux qui achètent un ou plusieurs pigeons pour des prix astronomiques, alors qu’ils regardent à une petite somme pour rendre leur colombier plus hygiénique.
Quand j’ai demandé à tenir des pigeons, mon père donna la permission à une condition: « je veux que chaque année le colombier soit démonté jusqu’à la dernière planche, et qu’il soit remonté après que tout ait été désinfecté à fond. » Car disait-il, il ne faut pas oublier ce que le fameux champion Rist De Bondt nous a dit un jour après que son colombier avait été ravagé par un incendie: « Il est bon qu’un colombier brûle de temps à autre… »
Mon père nous a dit là une vérité capitale. N’as-tu pas remarqué qu’un débutant joue souvent merveilleusement dans un nouveau colombier? Mais après peu de temps les succès diminuent parce qu’ils ont perdu leur plus grand attout: un colombier dépourvu de toute souillure.
Débutant:
Je comprends ce que tu veux dire, car si nous avions des yeux comme un microscope nous serions effrayés de tout ce que nous découvririons et ton père avait sans doute raison de t’obliger à démonter chaque année tout le colombier.
Victor:
Or oublie que dans un colombier malsain les pigeons ne ressemblent pas à ce qu’ils seraient s’ils habitaient un colombier sain?
Et ici je voudrais revenir à cette peur qu’ont les colombophiles d’éliminer un éventuel bon pigeon lors des sélections de fin d’année.
Il faut trier ses pigeons après qu’on soit certain que leurs mauvaises prestations n’ont pas été la conséquence de leur mauvais état de santé, ou de leur séjour dans un colombier malsain.
Si on a p.ex. dix pigeons dans un colombier malsain, il est peu probable qu’il y en ait un parmi ceux-ci qui puisse se distinguer. S’il existe néanmoins, il faut bien admettre que jouissant d’une vitalité à toute épreuve, c’est un super crack. Tandis que dans un colombier parfaitement sain, presque tous les pigeons pourraient se classer, et il ne faudrait pas attendre ce merle blanc pour figuer honnêtement au résultat.
Débutant:
Je comprends donc qu’il ne faut pas liquider neuf pigeons qui n’ont rien donné, si, au lieu de cela, c’est le colombier qu’il faudrait supprimer, parce que c’est lui le fautif, et non pas les pigeons.
Victor:
C’est très bien dit, et en guise de conclusion, nous pouvons nous en tenir à cette réflexion judicieuse!
[ Source: Article édité par M. Noël De Scheemaecker – Revue PIGEON RIT ]
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De bons pigeons, mais aussi une bonne tactique!