Un standard sportif – pigeon voyageur (1)
Le triage de nos pigeons peut être comparé avec le travail du pilote qui doit diriger son bateau parmi les vagues d’une mer houleuse. Nous aussi, nous avons des difficultés à vaincre. Nous aussi, nous devons manier avec adresse et attention, le gouvernail du colombier, afin de ne pas échouer, sans direction, au pays des nullités ! Vous direz : la nature elle-même prévoit une sélection car les oiseaux malades ou faibles succombent aux attaques des oiseaux de proie, à l’époque de la « passe », et dans un certain sens, le panier sélectionne aussi les pigeons. Mais le panier est un trieur brutal et souvent un mauvais trieur qui condamne les meilleurs sujets. Avec un peu de doigté, l’amateur a pu retirer grand profit de ces oiseaux, soit pour l’élevage, soit pour le voyage, sinon pour les deux (1). Je pourrais vous citer des centaines et des centaines de cas de ces voiliers qui n’ont rien fait de bon comme pigeonneaux et comme yearlings, et qui plus tard sont devenus des as. Et aussi de ces pigeons qui, médiocre pour le voyage, ont élevé des champions. N’arrive-t-il pas, quand on élève deux mâles dans un nid, que l’un d’eux fait des prouesses et que l’autre, moins bon voyageur, donne de meilleurs produits ? Celui qui connaît tellement peu les pigeons qu’il doit se baser sur le panier pour sélectionner est à plaindre car beaucoup de bons pigeons seront perdus pour lui, avant même d’avoir eu l’occasion de montrer ce qu’ils avaient dans le corps, soit qu’ils n’étaient pas en forme, soit que leur manager était incapable de les faire voler avec plein goût, ce qui arrive toujours quand un oiseau ne se sent pas chez lui, soit au colombier, soit dans son casier. Par exemple, quand un sujet doit toujours subir la loi d’un adversaire plus fort, quand il est accouplé contre son goût… et recherche une autre femelle. Le triage des pigeons pendant la mue est de toute importance et pour beaucoup, il est plus important que le triage par le panier, en temps de concours. Nous allons faire ce triage ensemble. Il va de soi que toute sélection doit se faire d’après les’ possibilités de jeu que l’amateur trouve dans sa région. Il est inutile de ne garder que des vitessiers, si l’on joue exclusivement au-delà de Paris. Le contraire est vrai aussi. En effet, il y a des pigeons qui n’ont de valeur que pour les portées réduites et d’autres qui, volant moins vite, sont en mesure de voler beaucoup plus longtemps. Quand on se spécialise, il faut trier en conséquence. On dit parfois d’un pigeon qu’il est bon pour tout et que la vitesse ou le fond lui conviennent tout aussi bien. Oui, il y a des pigeons exceptionnels mais ils sont rarissimes et bien souvent, ce n’est que par temps dur qu’ils viennent aux petites distances (par vitesse, nous entendons les portées inférieures à 300 km) (2). Si l’on devait se défaire de tous les oiseaux qui ne font pas prix à toutes les distances, il ne subsisterait que bien peu de pigeons. Il faut donc tenir compte de ce fait quand on sélectionne. Nous examinerons donc les qualités d’un pigeon d’après ses possibilités aux petites et aux longues portées, par temps facile et par temps dur. Voulons-nous créer un standard ? Non, pas le standard classique, mais un standard de spécialiste. Non pas d’après un table de cent points mais en réunissant les qualités sine qua non que doit posséder un pigeon pour être bon dans une spécialité déterminée. D’ailleurs, le standard classique ne vaut pas grand-chose pour la sélection. La preuve ? Les meilleurs voiliers sont incapables de faire prix au standard et celui qui cultive ses pigeons d’après cette méthode, est rarement capable de faire un prix. N’est-ce pas au standard lui-même que nous devons attribuer un certain recul du colombier de réputation mondiale de M. Paul Sion, un des créateurs du standard ? Le poids et le volume, quand ils accaparent le premier rang, refoulent au second plan les nerfs, l’intelligence, la souplesse, bref, la vitesse. Sans compter que la « beauté » prend également le pas sur l’ « opiniâtreté » du pigeon. Tout cela est erroné !
Tout cela explique le fiasco du standard : les qualités secondaires s’exagèrent jusqu’à devenir des défauts et à supplanter les qualités indispensables. Car en définitive, ne comptent que les qualités qui conditionnent la vitesse, la résistance et la force de volonté intelligente. Il faut savoir également que non seulement chaque qualité sine qua non, c’est-à-dire indispensable doit exister pour qu’un pigeon soit bon, mais qu’il faut aussi que toutes ces qualités forment un tout harmonieux, car elles sont interdépendantes. Tout devient donc une question de rapport. Nous pourrions donc donner à un bon pigeon, la définition suivante : c’est le résultat de la coopération harmonieuse de toutes les qualités qui rendent possible la vitesse et la résistance, au service d’une force de volonté intelligente. (3) II est facile d’apprécier la valeur de l’aile, des muscles, de l’ossature, nous en parlerons le mois prochain. Il est plus malaisé d’ausculter le coeur, les poumons, le foie et cependant, celui qui sait le faire, en retire des données d’une valeur inestimable. Il peut dire avec une certitude quasi absolue, ce dont un pigeon est capable. Dans notre prochain numéro, nous traiterons ces points en long et en large. Tous nos lecteurs savent que l’aile d’un pigeon doit être souple. Mais ce que beaucoup ignorent c’est qu’une aile semblant dure peut néanmoins être souple. Que faut-il entendre par la souplesse de l’aile? C’est le travail aisé des muscles et des articulations. L’aile doit être musclée et les muscles se sentent à l’endroit où les dernières pennes s’enfoncent dans la chair. Une aile peut être souple, mais en même temps comme « morte », sans le moindre ressort. Cette sensation, on l’a quand on tient en mains une aile faiblement musclée. Tout près du corps, à l’attache de l’aile, on sent très bien les muscles. Ceux-ci doivent être très souples, ainsi d’ailleurs que les articulations. Mais il arrive que certains pigeons contractent leurs muscles et resserrent leurs ailes quand on les prend en mains. Et ainsi, ils parviennent à tromper l’amateur qui les tient. L’essentiel est que l’aile se présente bien, que les épaules n’aient pas l’air trop osseuses, que les os de l’épaule, du bras et de l’avant-bras forment un arc léger et régulier, et que les plumes se recouvrent parfaitement. On doit faire la distinction entre l’aile qui se retient (et qui peut donc être souple) et l’aile qui est raide au point qu’on dirait qu’il faut quasi l’arracher pour la déployer. Comprenez-vous? Il y a quelques années, on a beaucoup parlé de la théorie de l’ingénieur Boel qui, si je ne m’abuse, prétendait que le rapport entre la superficie de l’aile et le poids du corps devait être tel que la charge au mètre carré fut d’environ neuf kilos. Alors seulement, affirmait-il, la vitesse fournie pourrait atteindre son maximum et pour arriver à ce rapport, il conseillait même de rogner, au besoin, sur l’arrière-aile. Notre ami Ernest Duray pense aussi tenter un essai dans ce sens, non pas en rognant les bouts des rémiges secondaires, mais en accouplant de manière à obtenir des ailes comme M. Boel les préfère. J’ajoute qu’il pense qu’il y a là quelque chose à essayer. En tout cas, il faudrait attendre des résultats pour conclure. En fait, il est certain qu’un pigeon à arrière-aile réduite doit faire battre ses ailes beaucoup plus vite car ce sont les dernières rémiges primaires qui effectuent le travail de propulsion et donnent la vitesse. Mais d’un autre côté, on exige un travail musculaire plus grand et un effort cardiaque plus considérable. A ce sujet, je trouve très juste la remarque que me fit le colombophile et roi de la montagne, Félicien Vervaecke, lorsque nous parlions du rôle de la force musculaire, pour monter une côte : l’art du grimpeur c’est la puissance du coeur car les muscles ne cèdent point, c’est le coeur qui ne sait pas suivre. Très juste. D’ailleurs, le coeur joue le rôle principal dans la fatigue et c’est pour cela qu’en règle générale, nous pouvons admettre qu’un pigeon à arrière-aile bien développée est mieux adapté au vol soutenu. L’arrière-aile porte mieux. D’un autre côté, une avant-aile bien développée favorise plutôt la vitesse. Pour les sprints où le travail du coeur ne dure pas longtemps, l’avant-aile bien développée est la meilleure. Je ne pense pas avoir besoin de dire qu’une aile doit être bien remplie. Il est naturel que les plumes du dessous de l’aile doivent être aussi longues et riches que possible, afin que le tout forme un ensemble moelleux. Les plumes de couverture, surtout celles qui protègent la base des grandes pennes, doivent également être longues et larges. En ce qui concerne les rémiges fendillées, voici ce que je pense. Elles ne font pas de tord quand elles sont seulement trois ou quatre et légèrement fendillées. Notre « Kaers » en a. Mais quand les plumes sont vraiment fendues, les oiseaux arrivent difficilement dans les poules par temps dur. Il doivent donc être considérés comme fortement handicapés, les porteurs de rémiges fort fendues. Quant à la cause, on peut attribuer le fendillement des plumes aux excès dans l’élevage, aux étapes pénibles, à la mauvaise alimentation, à l’anémie. Dans ce dernier cas, les sujets aux plumes fendues transmettent ce défaut à leurs jeunes, surtout la mère. Le trieur bien connu, Gust De Mulder, appelé aussi le « Wittenboer », et qui est un homme de riche expérience, assure que 99% des femelles aux rémiges fendillées ne valent plus rien pour l’élevage. C’est aussi mon idée. A moins, naturellement, que le fendillement des rémiges ne soit, chez une femelle, la conséquence d’un effort trop grand à l’élevage ou au voyage, ce qui n’implique pas une tare héréditaire.
Les plumes « marquées » n’ont aucune influence sur les prestations d’un pigeon. Il ne faut pas s’en inquiéter. De même, ne faut-il pas s’inquiéter si un voyage très dur a empêché une rémige principale de pousser à longueur. Les trieurs qui prétendent qu’il faut attendre que le pigeon ait mué sa plume marquée font preuve d’un manque total d’expérience.
Noël De Scheemaecker
Notices:
- (1) C’est une vérité comme une tour, mais personne n’admet que le panier est un mauvais sélectionneur qui cause parfois l’élimination de bons pigeons. Cela prouve que Noël De Scheemaecker, passionné du pigeon depuis sa tendre jeunesse a toujours su analyser intelligemment le comportement de ses pigeons.
- (2) Certains pigeons se distinguent tant en vitesse qu’en fond. Il est bien sûr des centres de vitesse ou la concurrence n’est pas très forte et permet à certains pigeons de fond d’y jouer un bon rôle, mais cela devient bien plus difficile pour qui s’engage dans un vrai « nid de vitessiers ».
- (3) De nos jours le caractère est plus que jamais primordial pour juger de sa valeur. Le pigeon qui n’a pas de caractère ne peut taper la tête ou prester de manière extraordinaire. Ne l’oublions pas.
[ Source: Article édité par M. Noël De Scheemaecker – Revue PIGEON RIT ]
Pour vous abonner au Magazine PIGEON RIT – Cliquez sur le bouton ci-dessous !
Un standard sportif – pigeon voyageur (2)
Le standard, l’aile et les accouplements – pigeon voyageur